Par Antoine Boyer
Pourquoi une politique active de la petite enfance doit-elle être pensée ? Dès la naissance, les conditions du développement de l’enfant se mettant en place, le déterminisme social pourrait-être contourné par une éducation active à destination des enfants en bas-âge. Mais au-delà de la lutte contre les inégalités sociales que représente cette politique ambitieuse, c’est l’égalité homme-femme qui est visée.
La France est très mal notée par les organismes internationaux comme l’UNICEF concernant les droits de l’enfant. Au 15 ème rang des 24 pays les plus riches en matière de santé de l’enfant, la France est située à l’avant dernière place pour l’éducation. Pourtant, l’éducation dès la naissance est l’une des revendications les plus fortes des acteurs de l’économie sociale. Favoriser les conditions d’accueil des enfants, mettre les parents au centre de la politique interactive déjà développée par certaines crèches innovantes, sont autant de moyens pour repenser l’encadrement des enfants. Et cet appel à la refonte d’une politique publique s’articule à celle d’une égalité homme-femme réelle. Une meilleure compréhension de l’enjeu de la petite enfance permettrait un retour de la femme sur le marché du travail après le congé parental et une conciliation optimale entre vie professionnelle et vie familiale.
En France, il manque aujourd’hui environ 500 000 places d’accueil pour les enfants de moins de 3 ans, ce qui représente environ les 2/3 des enfants de moins de 3 ans. De plus le taux de scolarisation à l’école maternelle des enfants entre deux et trois ans a a été divisé par trois en 10 ans, il est passé de 32,4% en 2000 à 11,6% en 2011. Ce sont les mères qui pâtissent le plus de cette mauvaise gestion. Elles sont nombreuses à travailler en temps partiel, notamment quand elles ont plus d’un enfant. Les gardes individuelles ou partagées étant chères, ce sont les femmes issues de milieux défavorisés qui sont davantage pénalisées. En arrêtant de travailler, elles reviennent tardivement sur le marché du travail (voire pas du tout), accentuant les difficultés à s’y réinsérer. Et aucune politique efficace n’est parvenue à résoudre cette contradiction. Ici se rejoignent donc inégalités sociales et inégalités de genre.
La Suède pourrait être un exemple à suivre.
Elle a mis en place très tôt, dans les années 80, une politique active de la petite enfance. La Suède a fait un choix de société très clair, affirmant que la garde des enfants de moins d’un an par l’un de leurs parents est la meilleure option pour assurer son développement. Les structures d’accueil collectives sont ensuite ouvertes après la première année de l’enfant. Pour ce faire, un congé parental a été mis en place, remplaçant le congé maternité, à hauteur de 480 jours rémunérés. Ce congé, souvent pris par la mère, pourrait être pris par le père, ou partagé entre les parents. Ainsi en 2000, 86% du temps du congé était pris par les mères. Mais la différence sémantique a ici son importance. Elle est une première étape vers l’évolution des mentalités au regard du droit au congé pour la naissance d’un enfant. Ce congé parental suédois assure une compensation financière ainsi que le retour à l’emploi.
L’équivalent de ce congé en France est le congé maternité, qui est plus court et moins généreux. Le congé parental français (APE) assure un retour à l’emploi mais n’est pas rémunéré. En Suède, entre un an et six ans, les enfants sont pris en charge dans les crèches, structures d’accueil payantes, mais 20% des enfants restent chez eux. Pour articuler vie familiale et vie professionnelle, la plupart des parents, souvent les mères, ont recours au temps partiel. La loi suédoise autorise le travail à 80% jusqu’aux huit ans de l’enfant. En France, le temps partiel, faute de structure d’accueil suffisamment adéquate, est subi pour les femmes. La tension sur le marché du travail français limite également le retour à l’emploi des femmes après la fin de leur congé. Et l’augmentation du chômage, ces dernières années n’améliorent pas les choses. En Suède il est davantage choisi, ce qui favorise l’harmonisation entre vie familiale et vie professionnelle. Par sa politique volontariste et son choix de reconnaitre l’importance d’articuler du mieux possible vie professionnelle et vie familiale des mères, la Suède a mis en place une politique active de la petite enfance. La France a encore un long chemin à parcourir, et le modèle suédois peut contribuer à une prise de conscience de la voie à suivre.
Expériences locales innovantes en France
Depuis quelques années cependant, les acteurs de l’économie sociale ont proposé plusieurs solutions pour assurer l’égalité homme-femme à travers une politique de l’enfance ambitieuse. Certaines crèches ont mis en place des pratiques innovantes qui ne nécessitent pas systématiquement une hausse de la dépense publique. Par exemple dans une crèche du 94, l’association Eveil Parents enfants Evry a privilégié la rencontre parents-enfants au sein de la structure d’accueil. Est ainsi développée la sociabilité entre parents, favorisant notamment l’intégration de familles d’origine étrangère, parlant peu le français. Une autre crèche, par son mode d’intégration des enfants handicapés se distingue. « La souris verte » à Lyon accueille 1/3 des enfants handicapés, une manière de les considérer comme des enfants comme les autres et de faciliter leur développement au contact des autres enfants. Enfin à Angers, une crèche a innové en ouvrant ses portes 24h/24 pour s’adapter aux horaires de travail des parents. Une pratique innovante et originale, qui va dans le bon sens du développement d’une politique de la petite enfance. Cette dernière initiative nécessite toutefois une augmentation des embauches donc des dépenses. Un mal nécessaire pour enclencher une dynamique positive.