Il est possible de réduire les inégalités scolaires, soulignées par le rapport PISA, en prenant en charge les enfants dès leur plus jeune âge.
Par Juliette Méadel et Daniel Bloch.
Article publié le 05/12/2013 sur le site La Tribune.fr
Le 20 novembre 2013, la France et la communauté internationale ont fêté le 24ème anniversaire de la convention internationale des droits de l’enfant. Cette date anniversaire est quasiment passée inaperçue alors que le constat est unanime : l’avenir de la France dépend de la situation économique, éducative et sociale de sa jeune génération. Au delà du consensus de façade, lorsqu’il s’agit de faire de la jeunesse et donc de l’enfance un domaine politique de premier ordre, les résistances de toute nature se font jour. Ainsi, pour beaucoup, l’enfance est un « sujet accessoire » relevant des préoccupations « féminines » au même titre que le bien-être et l’éducation des enfants. Notre propos n’est pas d’analyser les causes de ces résistances mais bien plutôt de convaincre le lecteur de l’importance de ce sujet.
Le choix de la jeunesse, un choix ancré à gauche
En premier lieu, et pour la première fois de son histoire, la France a la chance d’avoir un président de la République qui a fait de la jeunesse, et donc de l’enfance, sa priorité. Il s’agit d’un choix profondément et totalement ancré à gauche en ce que la lutte contre les inégalités commence dès la prime enfance et dans le premier lieu de socialisation de l’enfant : l’école. Depuis Tocqueville, la France qui a la « passion de l’égalité », a fait de l’École l’institution qui devait permettre le progrès social et l’émancipation. Or, depuis quelques années, l’École française régresse en termes de performance éducative : l’étude PISA du 3 décembre montre ainsi que les compétences des élèves ont encore diminué par rapport à 2009.
La lutte contre l’échec scolaire doit commencer au plus jeune âge
Aujourd’hui, de trop nombreux élèves sortent du collège sans avoir le bagage nécessaire pour accéder ne serait-ce qu’à un certificat d’aptitude professionnelle (CAP). Or, les difficultés au collège résultent souvent des difficultés accumulées dès l’enfance: 90% des élèves en difficulté en 6ème sont déjà en difficulté à l’école maternelle. Le constat est donc unanime : la lutte contre l’échec scolaire doit commencer dès le plus jeune âge, c’est à dire dès la petite enfance.
La réussite des expériences américaines en faveur des enfants défavorisés
Ainsi, la plupart des enquêtes s’y rapportant ont permis de mettre en évidence quelques caractéristiques sociologiques communes aux élèves en difficulté : le faible niveau de formation des parents, souvent sans travail et vivant dans des quartiers défavorisés. Or, les chercheurs de l’Université de Caroline du Nord qui ont mené une expérience intitulée « Abcedarian » ont montré qu’une pédagogie centrée sur l’apprentissage du langage, entre deux et cinq ans, permettait de sécuriser les parcours scolaires et de conduire à des vies plus réussies, surtout pour les enfants issus des familles les plus défavorisées. Ainsi, dans le groupe témoin de l’enquête, 6% des élèves atteignent le niveau de la licence (bachelor) contre 25% pour les élèves concernés par l’expérience.
Des expériences peu coûteuses
Prenant appui sur ces données, le Docteur Michel Zorman a développé, à Grenoble, un programme de recherche intitulé « Parler! » (1) pour des élèves de quatre à sept ans. Il repose sur un enseignement explicite et systématique de la conscience phonologique, du code alphabétique, de la compréhension et du vocabulaire, par l’intermédiaire de séances quotidiennes et intensives en petits groupes de niveau homogène et parfois, quand c’est nécessaire, avec un suivi individualisé.
Ce programme, obligatoire et appliqué à tous les élèves de la classe, quel que soit leur niveau, a montré son efficacité : la proportion d’élèves en difficulté a été divisée par deux et la performance scolaire des meilleurs élèves a été aussi multipliée par deux. Cette expérience, peu coûteuse, a donné lieu à la mise en œuvre du « Programme Lecture » appliqué par le Ministère de l’éducation nationale dans 350 classes des départements 59, 62, 92 et 93, ainsi que dans le programme expérimental « Paris Santé Réussite » initié par la Mairie de Paris.
Un prix Nobel d’économie approuve
Nous proposons donc de développer la pédagogie centrée sur le langage dès la petite enfance et ce dans l’ensemble des départements. Intervenir dès la petite enfance est le critère d’efficacité de la réforme. Ainsi, en ce moment même, le Congrès américain est en train d’examiner le « Strong Start for America’s Children Act » : une proposition de loi bi-partisane qui vise à instaurer un programme d’investissement éducatif dans la petite enfance pour les familles les plus défavorisés. James Heckman , Prix Nobel d’Économie en 2010, recommande à tous les décideurs économiques et politiques américains de promouvoir le succès de ce projet qu’il juge « socialement juste et économiquement efficace » en ce qu’il est ciblé sur les enfants de 0 à 5 ans, qu’il met l’accent sur les familles défavorisées, intègre la santé et encourage l’innovation locale dans les programmes éducatifs de qualité.
Penser l’enfance comme un objectif
Pour donner un avenir à ceux qui auront vingt ans en 2030, il faut penser l’enfance comme un objectif, concevoir une stratégie à moyen et à long terme et bâtir un discours global qui repose sur un nouveau paradigme : le partage des responsabilités entre les parents et l’Etat social, en plaçant l’enfance au centre. Comme le dit Michel Dollé, « Une société plus juste pour ses enfants, au sens où elle progresserait vers plus d’égalité des chances, serait une société plus apaisée, au bénéfice de chacun » (2).
L’année prochaine, nous fêterons les vingt-cinq ans de la Convention Internationale des Droits de l’Enfant. La France, qui connaît encore aujourd’hui le plus fort taux de natalité de l’Union européenne, devrait se saisir de cette date anniversaire et proposer une stratégie internationale pour une politique globale de l’enfance. Pour que la France demeure un pays où il fait bon naître et grandir, elle pourrait se fixer pour objectif de faire bénéficier tout un chacun, dès sa naissance, d’un environnement propice à une vie bonne. C’est comme cela que la France s’inscrira dans l’histoire : en s’adressant à l’avenir.
Juliette Méadel. Secrétaire Nationale du PS. Fondatrice du collectif « L’avenir n’attend pas ».
Daniel Bloch. Ancien recteur d’Académie, membre de L’avenir n’attend pas.
(1) Daniel Bloch, “Ecole et démocratie”, Presses universitaires de Grenoble 2010
(2) “Peut mieux faire, pour un renouveau des politiques de l’éducation”