Article publié dans Libération.fr
La crise que nous vivons depuis 2008 conduit nos responsables politiques à focaliser leur attention sur les marchés financiers et le pouvoir d’achat. C’est légitime mais c’est insuffisant. Notre avenir c’est d’abord le bien-être de nos enfants et leur projet de vie.
Leur bien-être relève des capacités financières de leurs parents mais aussi de leur environnement éducatif et social. Les pouvoirs publics y ont une responsabilité essentielle et interviennent déjà de manière non coordonnée à travers les politiques familiales, éducatives, sanitaires, urbaines ou encore de lutte contre les discriminations entre les hommes et les femmes… Pourtant, ces sujets doivent être considérés comme les pièces d’un ensemble cohérent au service d’une véritable «politique de l’enfance». Une politique qui, d’abord, s’adresse à toutes les familles: monoparentale, homosexuelle, traditionnelle ou recomposée. Une politique dont la rentabilité économique est ensuite assurée: comme l’a bien montré James Heckman, prix Nobel d’Économie, investir aujourd’hui pour améliorer le bien-être d’un enfant sera récompensé au centuple plus tard. En un mot: un euro dépensé avant 10 ans en vaut cent après 25. Une politique enfin dont le contenu n’est pas l’annexe des autres domaines de l’action publique mais le centre névralgique.
Service public de la petite enfance
Deux exemples concrets permettront d’illustrer ce propos. Premier exemple: chaque année, 40% des mères de familles ne trouvent pas de solution de garde pour leur enfant. Elles renoncent donc à travailler et sortent -momentanément croient-elles- du marché du travail, mettant ainsi en péril leur employabilité de demain, surtout pour les moins diplômées. Cette question n’est pas anodine: pouvoir conserver son emploi et faire garder son jeune enfant relève de la question plus générale de la conciliation de la vie familiale et de la vie professionnelle. Les enjeux, considérables, sont de trois ordres : économiques (plus les femmes travaillent, plus le taux de participation au marché du travail est élevé, plus la croissance économique augmente et meilleur est l’équilibre des comptes de la sécurité sociale), civiques (l’égalité entre les hommes et les femmes) et sociaux (permettre à une femme de garder son emploi, c’est aussi lutter contre la précarité des familles et améliorer les conditions de vie de leurs enfants). Ces défis sont immenses, ils doivent être relevés. Le politique a son mot à dire. Il doit trouver, à terme, une solution de garde pour les femmes qui souhaitent retourner rapidement sur le marché du travail après la naissance de leur enfant.
Sur ce sujet, le Président de la République sortant ne s’est pas engagé, son bilan parle pour lui. Sur les 200 000 places qui devaient être créées entre 2007 et 2012, seules quelques dizaines de milliers l’ont été réellement. François Bayrou mise, lui, uniquement sur les crèches d’entreprises. Eva Joly et Jean Luc Mélenchon ont faits des propositions: créer respectivement 400 000 et 500 000 places de crèche, soit un coût total de près de 20 milliards d’euros, (l’équivalent de 1% du PIB). Cette promesse pourra-t-elle être tenue? Le financement des crèches repose pour moitié sur les collectivités locales et sur les caisses d’allocations familiales. Comment l’Etat pourrait il obliger les collectivités locales à multiplier leur budget actuel par trois ? Ces promesses risquent bien de ne jamais être respectées au détriment, d’abord, des familles dont la vie quotidienne n’aura pas changé. François Hollande a proposé une solution satisfaisante car rapidement opérationnelle: la mise en place d’un service public de la petite enfance qui reposera non seulement sur la création de places supplémentaires en structure collective, mais aussi sur la diversification des modes de gardes et l’amélioration de la formation et de l’accompagnement des assistantes maternelles.
Mesure en faveur des mères isolées
Deuxième exemple: 2,3 millions d’enfants de moins de 18 ans vivent dans des familles monoparentales qui sont, à 90 %, des femmes isolées. Ces mères de familles sont, plus souvent que les autres, en situation de précarité sociale et d’isolement et ne peuvent s’investir autant qu’elles le souhaiteraient dans le suivi de la scolarité de leurs enfants. Quand s’y ajoute la barrière de la langue, l’absence de réseau social, la méconnaissance de l’organisation scolaire, l’exclusion redouble, la précarité s’enracine. Le Président de la République sortant n’a rien proposé à ce sujet, pas plus que l’ensemble des autres
candidats et candidates sauf François Hollande. A Marseille, le candidat socialiste a annoncé une mesure en faveur des mères isolées qui bénéficieront, dès la rentrée 2012, d’un réseau de socialisation et de formation accessible depuis l’école. L’accompagnement de ces mères seules par d’autres parents d’élèves, par la communauté éducative, par des associations d’aide à l’apprentissage de la langue française pourrait les aider à mieux comprendre l’environnement scolaire de leurs enfants et à se sentir mieux intégrées dans une société encore trop réservée à ceux qui «savent». François Hollande montre ainsi qu’il place au coeur des politiques de l’enfance les mesures de soutien à la parentalité et ouvre ainsi la voie à la reconnaissance d’une politique de l’enfance autonome.
Si l’intervention politique doit être massive en faveur du bien-être de l’enfance, elle ne signifie pas que les moyens financiers à mobiliser sont considérables. C’est plutôt le contraire même : une meilleure coordination des domaines de l’action publique, rassemblés autour d’un objectif unique en faveur du bien-être de l’enfance sera la meilleure réponse à la recommandation de James Heckman. Cela suppose tout d’abord que ce sujet soit pris au sérieux. Il ne s’agit pas d’un «sujet de femmes» comme j’ai pu l’entendre dire ici ou là mais d’un sujet universel et central pour notre avenir à tous.
L’enfant est notre avenir. Améliorer son environnement familial, équilibrer les devoirs de chaque sexe, c’est contribuer à son épanouissement et c’est aussi construire une société plus juste et plus civile. En mettant l’enfant au centre de sa politique et non plus à la marge, en luttant contre toutes les discriminations, y compris de genre, le politique investit dans le temps long. Il y a urgence à le faire, maintenant.