Publié dans L’Opinion, édition du 11 décembre 2014.
La maîtrise des dépenses d’assurance maladie est importante, mais ne doit pas se faire au prix d’une paupérisation
Nul ne peut nier l’importance de mieux gérer les dépenses d’assurance maladie. Ainsi, 90 % des français pensent que notre système de santé offre des soins de qualité, une proportion identique (91%) estime aussi que son financement est menacé. Pire : 39 % de nos concitoyens avouent avoir déjà renoncé à des soins en raison de leur coût
[1].
Le risque de dérapage des coûts est donc bien connu. Mais ce que l’on sait moins, c’est que l’on néglige très probablement le risque inverse, celui de la « paupérisation » : piloté par les coûts plus que par la qualité, en partie étanche à l’innovation et mesurant mal la valeur de ce qu’il produit, notre système de santé risque la « paupérisation » C’est-à-dire que la maitrise des dépenses se fasse au prix d’une réduction encore plus importante de la qualité et de l’accès aux soins. Au final les Français seront perdants : ils paieront un peu moins collectivement mais un peu plus de leur poche et tout cela pour un service beaucoup moins bon.
Ce qui compte vraiment doit être mesuré pour ne pas être perdu de vue
« Le PIB mesure tout, sauf ce qui fait que la vie vaut la peine d’être vécue » a dit John Kennedy. C’est particulièrement le cas en matière de santé. Si un traitement coûte 5 % de plus mais réduit de moitié la mortalité du cancer, il apparaîtra comme un coût dans les comptes de la sécurité sociale mais les années de vie gagnées n’y figureront pas. Investir pour réduire les délais d’attente pour une IRM augmentera à court terme les dépenses d’investissement dans la Loi de Financement de la Sécurité Sociale, mais les bénéfices pour la santé publique d’un diagnostic précoce – pourtant clairs d’un point de vue médical – n’apparaitront nulle part. Il en va de même pour les actions de prévention, un talon d’Achille parce qu’ils coûtent tout de suite pour rapporter plus tard.
Ce qui compte pour les français c’est la valeur ajoutée, c’est-à-dire l’amélioration de leur niveau de santé par euro dépensé. Or notre système se donne encore peu de moyens pour piloter cette valeur Au niveau national, il n’existe pas d’informations régulières et exhaustives sur la qualité des soins ou de l’état de santé de nos concitoyens. Celui qui cherche ces données aura du mal à trouver mieux que les « marronniers » des magazines comparant les établissements de santé avec toutes leurs limites, notamment méthodologiques. Pire, cette situation fait l’objet de peu de débats alors que les voyants rouges s’accumulent pour attirer notre attention : allongement des délais d’attente pour accéder à un spécialiste, délais d’accès à une IRM en moyenne plus important en France que dans les autres pays européens, faiblesses en matière de prévention, niveau de mortalité infantile… Or, s’il mesure peu la valeur ajoutée de son activité, le système de santé mesure très précisément chacune de ses dépenses. Ce faisant, il s’expose au risque de paupérisation : ce qui est mesuré (les dépenses) s’imposera au prix d’une dégradation de ce que l’on ne mesure pas (l’état de santé des français).
Certes aucune mesure ne représente parfaitement l’état de santé des français : la difficulté statistique est donc non négligeable. Mais comme toujours en matière de gestion de la performance, il vaut mieux une mesure imparfaite que pas de mesure du tout ! Il faut tenir à distance les perfectionnistes, mieux vaut quelques indicateurs imparfaits tout de suite que rien ; les cassandres de la « politique du chiffre » (qui croient défendre le système de santé en refusant d’en mesurer les bénéfices), les théoriciens (qui privilégient de complexes modèles théoriques à la simple connaissance de ce qui compte vraiment pour les français) et les centralisateurs (qui préfèrent diriger la santé par circulaire, au lieu d’être plus souples sur la liberté de gestion mais plus fermes sur les résultats).
L’innovation n’est pas l’ennemi des comptes de l’assurance maladie
L’innovation est parfois considérée comme un facteur d’augmentation des coûts – qu’il s’agisse d’innovation technologique ou d’innovation médicale. Cette idée vient en partie de l’absence de mesure de la valeur ajoutée, associée à une comptabilité « de caisse » : on y constatera le coût d’un nouveau produit, une personne en plus ou une nouvelle technique, mais pas ses bénéfices à moyen terme – qu’ils soient financiers ou médicaux.
Or les exemples abondent d’innovations permettant de soigner mieux à meilleur coût, comme par exemple avec le développement de la chirurgie mini-invasive qui permet de réduire les complications postopératoires et de diminuer les durées d’hospitalisation : les économies réalisées sur les lits peuvent alors être redistribuées vers le soin à budget constant. De même, grâce la numérisation des images médicales, la télé-radiologie permet aujourd’hui à un radiologue d’interpréter à distance les examens d’imagerie de plusieurs centres hospitaliers, œuvrant ainsi à réduire les coûts et les inégalités d’accès aux soins.
On pourrait allonger cette liste sans limites. On pourrait même la compléter de toutes les idées qui auraient pu naître dans notre pays si l’on avait offert un cadre plus propice à l’innovation aux professionnels de santé comme aux industriels. Or en pratique, c’est souvent l’inverse qui a été fait, notamment en priorisant la défense de l’emploi peu qualifié au détriment des emplois qualifiés, de l’investissement et de l’innovation.
Mesurer ce qui compte est la meilleure façon de ne jamais le perdre de vue
Au fur et à mesure que la contrainte budgétaire se resserre, le risque de paupérisation de notre système de santé se confirmera. Mais il ne tient qu’à nous d’inverser cette tendance. D’abord, en mesurant mieux ce qui compte vraiment : l’état de santé des français, l’égalité d’accès aux soins, la lutte contre les pathologies les plus graves…
Ensuite, en veillant à ce que le pilotage de notre système de santé et de ses réformes marche « sur deux pieds » : les comptes, certes, mais également le niveau de qualité. Ces deux faces du système de santé doivent être traitées à égalité, notamment dans la Loi de Financement de la Sécurité Sociale. Cette dernière deviendrait une loi d’objectifs et de moyens pluriannuels, aussi précise sur les objectifs de qualité et d’accès qu’elle l’est actuellement sur les dépenses.
Enfin, en visant à mieux canaliser l’innovation au lieu de chercher à la limiter par peur qu’elle ne coûte, précisément pour davantage l’aligner avec les objectifs fixés au système de santé. Et en particulier à aligner les efforts d’innovation avec les contraintes de finances publiques, ce qui conduira à privilégier les innovations « abordables », c’est-à-dire dont le coût total pour le système de santé est proche de zéro, les économies réalisées grâce à l’amélioration de l’état de santé ou la réduction du temps d’hospitalisation compensant les coûts d’acquisition.
Poser les bonnes questions, et mobiliser la technologie pour y trouver des réponses
Le domaine du changement climatique est un autre domaine dans lesquels le monde va avoir besoin d’innover dans les décennies à venir, afin de trouver comment faire mieux (émettre moins de CO2) tout en en limitant au maximum les hausses de coûts. Or dans ce domaine, il existe de nombreux lieux de dialogue entre industriels, régulateurs et experts. Ils permettent à la fois pour établir des « roadmaps technologiques » qui permettent de mieux comprendre ce que peut la technologie et à quels coûts. Ils permettent également d’engager des programmes de « démonstrateurs » qui visent à valider la pertinence économique de certaines technologies ou en réduire les coûts. Toutes ces initiatives sont parties des travaux du GIECC, qui a réuni un large panel d’experts pour obtenir un état des lieux clair, basé sur des analyses et des faits scientifiques, et une étude des risques de dégradation de notre environnement à long terme, ainsi que des solutions permettant de l’éviter.
Nous n’aurions rien à perdre à nous poser les mêmes questions en ce qui concerne le futur de notre système de santé…
Mathieu Série, médecin anesthésiste-réanimateur et contributeur au think tank L’Avenir n’Attend Pas, Mehdi Mejdoubi, médecin chef de pôle hospitalier et Vincent Champain, cadre dirigeant
et Président de l’
Observatoire du Long Terme
Remerciements à Isabelle Mas pour ses conseils avisés.
[1]Sondage IPSOS, « LES FRANÇAIS ET LE SYSTÈME DE SANTÉ », 2011