Les 20 et 27 juin prochains ont lieu les élections départementales. Le moment semble donc opportun de se poser la question de l’utilité de cet échelon administratif, particulièrement pour les trois départements de la petite couronne (les Hauts-de-Seine, 92, la Seine-Saint-Denis, 93, et le Val-de-Marne, 94). Ils ont été créés en 1964, officiellement pour des raisons administratives, mais en définitive pour des considérations d’optimisation de la carte électorale…
Un peu d’histoire pour commencer
Le département est institué en 1790 par l’Assemblée constituante. Elle en crée 83, organisés autour d’un chef-lieu et dont l’administration est confiée à un conseil général nommé par le pouvoir central. En 1848, l’élection des conseillers généraux est instituée au suffrage universel. La loi du 10 août 1871 permet au département de devenir une collectivité locale de plein droit dotée d’une compétence générale pour régler les affaires d’intérêt départemental. Nous le voyons, cette collectivité est ancienne et correspond, avec la commune, à l’échelon historique d’une gestion décentralisée des affaires publiques. Le département est donc ancré dans l’inconscient des Français comme une administration immuable et indispensable.
D’autant plus qu’avec les lois de décentralisation de 1982 et 1983, le département est reconnu comme une administration de plein exercice avec un contrôle des services de l’État intervenant en aval de la prise de décision et non plus en amont. Son statut est dès lors renforcé et le département est désormais compétent en matière d’action sociale, de gestion des collèges, de transport scolaire. À compter de 2003, la gestion du RMI (devenu depuis RSA) lui est attribuée. Entre 2004 et 2009, il acquiert de nouvelles responsabilités, avec une partie des routes, ainsi que de nouvelles compétences à caractère social, telles que la protection de l’enfance ou l’accompagnement des personnes en situation de handicap.
Cependant, depuis une dizaine d’années, les prérogatives des départements se réduisent peu à peu. Ainsi, en 2015, la clause de compétence générale des départements est supprimée, induisant un partage des responsabilités sur de nombreux thèmes comme le sport, la culture ou encore le tourisme.
Parallèlement, certains territoires s’émancipent de l’obligation de conserver un département. Désormais, le département n’existe plus à Paris (2019), en métropole lyonnaise (2015), en Corse (2018) ou dans plusieurs territoires ultra-marins (Saint-Pierre-et-Miquelon en 2003, Mayotte en 2011, la Martinique et la Guyane en 2015). D’autres ont également voulu s’en émanciper comme l’Alsace (en 2014), région où 80 % des élus y étaient favorables mais qui n’ont pu y parvenir, le référendum ne rassemblant pas suffisamment d’électeurs pour valider le choix des édiles.
La question mérite d’être posée pour les départements de la petite couronne d’Ile-de-France, en particulier pour les Hauts-de-Seine.
6 échelons administratifs
Actuellement, pour la petite couronne, les échelons administratifs normatifs sont au nombre de six : commune, établissement public territorial, métropole du Grand Paris, département, région et État. En comparaison avec la plupart des autres communes françaises, elle compte un échelon de plus ; avec la ville de Paris ou la ville de Villeurbanne, l’écart atteint deux échelons supplémentaires ; enfin, vis-à-vis de nos voisins européens, nous en décomptons deux ou trois en surnombre.
La question de l’efficacité et de l’empilement des strates se pose donc ici avec force.
Par ailleurs, si nous listons les compétences du département et que nous nous prêtons à l’exercice de la redondance de la compétence avec un autre échelon, nous constatons que chacune d’entre elles pourrait être efficacement exercée par une autre collectivité :
- Solidarités et cohésion territoriale: cette compétence pourrait être logiquement assumée par les intercommunalités. En effet, ces dernières sont déjà dépositaires de la compétence logement (et notamment logement social) et de la compétence aide sociale. La proximité de cette collectivité avec les situations particulières et difficiles que vivent nos concitoyens devant bénéficier de ces aides permettrait une gestion humaine et incarnée de l’aide sociale en remplacement d’une gestion administrative et désincarnée actuellement rencontrée dans de trop nombreuses situations. Un guichet unique dans chaque intercommunalité permettrait alors aux habitants d’évoquer leur cas personnel au regard des incidents ou accidents de la vie. Une alternative pourrait consister à demander pour le RSA une gestion au niveau des services de l’État ou des CAF, qui disposent d’une grande expertise en la matière. De plus, les départements communiquent régulièrement sur la difficulté à gérer cette politique, en mettant en avant l’imprévisibilité des dépenses à y allouer (le nombre d’allocataires variant continuellement).
- Éducation: actuellement, les départements gèrent la construction, l’entretien et l’équipement des collèges, ainsi que la gestion des agents techniques ou des ouvriers et des services de ces établissements. Il s’agit ici des mêmes compétences exercées par la région… pour les lycées. Un effort de rationalisation semble donc possible et souhaitable en confiant une compétence de gestion patrimoniale des établissements d’éducation secondaire à la région, qui dispose de moyens importants pour exercer cette compétence et cette expertise.
- Aménagement et transports: le département exerce une compétence sur la voirie départementale, mais les intercommunalités aussi, et de plus en plus. La gestion des routes devrait leur incomber. La gestion du transport spécial des élèves en situation de handicap vers les établissements scolaires pourrait être assez facilement prise en charge par la région (par exemple par Ile-de-France Mobilités).
- Actions culturelles et sportives : ces compétences restent très majoritairement locales. Elles pourraient donc facilement être administrées, en fonction de la taille et de l’importance des évènements et projets, soit par les communes soit par les intercommunalités qui disposent déjà actuellement de prérogatives en la matière. Le département ne vient bien souvent qu’en appoint sur ces domaines (subventions d’équipement par exemple).
En définitive, aucune des compétences du département n’est suffisamment spécifique pour ne pas pouvoir être transférée à un autre échelon qui dispose déjà de l’expertise nécessaire pour avantageusement assumer la prérogative confiée.
Enfin, du point de vue de la gouvernance, le département des Hauts-de-Seine est actuellement composé de 46 conseillers départementaux, dont, au moment de la dernière élection, onze étaient maires et deux sénateurs. Cette collectivité rassemble donc beaucoup de professionnels de la politique qui ne représentent que peu leurs électeurs dans leur diversité. Le total de leurs indemnités brutes annuelles dépasse 1,7 million d’euros, soit plus de 10 millions d’euros pour les six ans de mandat. S’il est légitime de rémunérer des élus, cela doit être accompagné d’une évaluation de la plus-value de leurs actions au titre de conseiller départemental.
En conclusion, le maintien du département et de ses structures administratives dans le 92, le 93 et le 94 rend-il un vrai service à nos concitoyens ?
Goulwen Le Gall (08/06/2021)
- DESS d’évaluation et d’analyse financière des collectivités locales à Rennes en 2001
- Plus de 15 ans de consulting auprès des collectivités locales et bailleurs sociaux en France et en Europe (organisation, gestion de la dette et analyse financière)
- Directeur Financier d’une SEM parisienne depuis 3 ans
- Conseiller municipal et intercommunal depuis Juillet 2020
- Marié 2 enfants
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