Publications – Janvier 2022
Laurent Joly
La Falsification de l’Histoire. Éric Zemmour, l’extrême droite, Vichy et les juifs
Grasset, 2022
Spécialiste de l’extrême droite et du régime de Vichy, Laurent Joly est directeur de recherche au CNRS. Il est notamment l’auteur de Vichy dans la « Solution finale ». Histoire du Commissariat aux questions juives (1941-1944), issu de sa thèse de doctorat. Et de L’État contre les juifs. Vichy, les nazis et la persécution antisémite (1940-1944)[1]. À bien des égards, ce dernier ouvrage se situe dans la continuité des travaux des historiens Joseph Billig, Robert Paxton, Michael Marrus et Serge Klarsfeld. Mais il s’en distingue dans son approche, soulignant l’interdépendance dans les politiques française et allemande, alors que dans les années 1980-1990, la recherche se focalisait sur la responsabilité de Vichy, les pressions de l’occupant étant quelque peu ignorées. Cependant, l’historien rappelle que les logiques de l’antisémitisme et de la collaboration s’entremêlent et que toute la puissance de l’État français fut mobilisée pour livrer à Hitler des dizaines de milliers de juifs à partir de l’été 1942[2]. Neuf mille gendarmes et policiers français furent notamment sollicités pour mener la « rafle du vélodrome d’hiver », à l’initiative de René Bousquet, sous le sixième gouvernement de Pierre Laval. Auparavant, entre juillet et octobre 1940, l’État français avait mis en place une politique antisémite, partie intégrante d’une « Révolution nationale » s’inspirant de l’Action française et des théories de Charles Maurras[3], édictant une législation d’exclusion, interdisant l’accès aux cabinets ministériels et aux emplois publics aux personnes qui ne seraient pas nées de parents français, des dispositions similaires étant prises pour les médecins et les avocats ; une loi du 22 juillet 1940 charge une commission de réviser les naturalisations intervenues depuis 1927. D’autres stratégies furent mises en place, jusqu’au point culminant de cette politique, l’adoption du « statut des juifs » le 1er octobre 1940, qui définit qui appartient à la « race juive ». P. Pétain insista pour que la magistrature et le corps enseignant soient « radicalement fermés aux juifs ». Ainsi, les juifs ne peuvent plus « être officier, ni magistrat, ni diplomate, ni professeur ou fonctionnaire de police ». Or, comme le note Laurent Joly, « la loi d’octobre n’a pas été adoptée sous la contrainte de l’occupant mais en fonction de considérations politiques et diplomatiques propres »[4].
Dans son nouveau livre, la Falsification de l’Histoire, Laurent Joly replace Éric Zemmour dans la tradition du « nationalisme ethnique né au tournant du XXe siècle et dont les idées ont été portées au pouvoir en 1940 ». Zemmour veut réécrire l’histoire de Vichy et de la persécution des juifs pour « rendre possible des politiques disqualifiées depuis les crimes de la collaboration », renverser l’État de droit, stigmatiser des minorités et « expulser deux millions d’étrangers et de mauvais Français ». Pour cela, le polémiste et candidat à la présidentielle n’hésite pas à falsifier les faits historiques, afin de réunir droites républicaine et extrême. Il s’élève « contre le discours du président Chirac en 1995 reconnaissant les crimes antisémites de l’État français », et reprend les arguments des avocats de P. Pétain pour disculper Vichy. Cependant, les faits historiques sont établis depuis plus de soixante ans, et Laurent Joly démontre de façon implacable les falsifications à l’œuvre.
#Société de la connaissance # Liberté et démocratie # Protection Sociale #extrême droite #Zemmour
22/01/2022
[1] Vichy dans la « Solution finale ». Histoire du Commissariat aux questions juives (1941-1944). Grasset, 2006. L’État contre les juifs. Vichy, les nazis et la persécution antisémite (1940-1944). Grasset, 2018 [édition revue et mise à jour, Flammarion/Champs histoire, 2020].
[2] L’État contre les juifs, 2018, pp. 11, 13.
[3] La révocation, le 27 août 1940, du décret-loi Marchandeau de 1939, qui permettait de poursuivre le racisme et l’antisémitisme par voie de presse n’est pas sans rappeler la volonté d’Eric Zemmour d’abolir la loi Pleven de 1972 créant le délit d’expression raciste.
[4] L’État contre les juifs, pp. 28-29, 34-36. Voir également Tal Bruttmann, « Naissance d’une politique antisémite : Vichy, juillet-octobre 1940 ». Vichy, les Français et la Shoah, un état de la connaissance scientifique. Revue d’histoire de la Shoah, 2020/2 N° 212, pp. 31 à 57. Editeur : Mémorial de la Shoah.
Marie-Hélène Millot
Ancienne secrétaire de rédaction dans la presse magazine spécialisée et d’entreprise. Retraitée. Doctorante, université Sorbonne Nouvelle, Monde anglophone – histoire des États-Unis au XIXe siècle, histoire africaine-américaine, guerre de Sécession.
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