Voici la Tribune parue ce jour dans le Figaro.fr
Après Charlie Hebdo, alors qu’il y a à peine 15 jours nous pensions tous que «plus rien ne serait jamais comme avant», l’Union nationale nous préservant des fausses querelles et des postures à l’ancienne, la vie a repris son cours et avec elle la petite routine des débats politiciens… Pourtant, nous n’avons encore eu ni le temps ni la possibilité de mener le vrai débat, celui qui nous permettra de comprendre comment nous en sommes arrivés là et comment nous pourrons en sortir.
La tentation est grande de déconnecter ces événements de leur contexte économique, politique et social et de les lier trop rapidement à l’un des avatars du monde contemporain: le développement d’un fanatisme religieux, moyen sanglant, pour des régimes sans scrupules, de mener une guerre lucrative et mortifère pour conserver le pouvoir ou pour le prendre en Syrie, en Egypte, ou au Mali… On pourrait dire que nous n’y sommes pour rien, nous citoyens, ou politiques, nous philosophes ou journalistes, et tant d’autres avec nous, de toute condition, en tout lieu social et géographique de notre territoire… On pourrait se dire qu’après tout, ce n’était qu’un épiphénomène limité à quelques centaines de criminels et à une obscure question de politique internationale. Le syndrome de l’autruche est tentant. Nous sentons bien pourtant qu’il n’est plus possible de masquer la réalité. Nous sentons bien qu’il faut désormais aborder sans détour tous les débats, y compris les plus difficiles.
Par où commencer? L’étendue des questions soulevées donne le vertige. Comment refaire la société en incluant toutes les différences et en embrassant la diversité des cultures sans renoncer à nos principes? Comment associer universalité du peuple français et diversité des cultures qui le composent? Comment faire mieux vivre le triptyque liberté, égalité, fraternité dans une société traversée par des fractures sociales, identitaires et territoriales? Comment redonner du sens et de la vigueur au pacte républicain et à notre projet collectif, Comment traiter le fait religieux lorsque l’on est passionnément épris de liberté, de laïcité et en même temps d’égalité entre les femmes et les hommes, et de justice dans le partage?
Le débat ne fait que commencer. Nous voulons contribuer à lui donner ses lettres de noblesses, à faire en sorte que les questions posées, pour complexes qu’elles soient, ne donnent pas lieu à des réponses toutes faites, à des slogans ou à des postures. Un raccourci est si vite accepté en politique. A force d’accumuler les raccourcis, l’Histoire finit par avoir un accident. Déjà, certains en usent et en abusent en liant immigration, modèle social français et terrorisme. Comme si notre modèle social d’intégration avait permis l’inacceptable violence du 7 janvier.
Les réponses apportées par les pouvoirs publics ont été bienvenues: il était crucial de rassurer par des mesures de protection et de sécurité intérieure tout en préparant l’avenir par une réhabilitation de l’instruction civique et laïque à l’École.
Mais, au plus profond de nous-mêmes, nous savons qu’il faudrait aborder des sujets à peine effleurés et, plus souvent, évités depuis plus de vingt ans: l’apartheid social et urbain n’est rien de moins que la coexistence, à quelques kilomètres de distance, de deux types de destins. Il y a ceux qui ont de l’espoir, l’espoir de pouvoir accéder à l’émancipation et de trouver les moyens d’avoir, un jour, une autonomie heureuse. Il y a ceux qui n’ont plus aucun espoir, non par excès de défaitisme ou par paresse ou par bêtise, mais parce que, objectivement et statistiquement, les risques qu’ils ne s’en tirent pas, qu’ils aient de grandes difficultés à trouver un logement, à fonder une famille, à élever leurs enfants dans des bonnes conditions, sont très élevés.
Une société qui n’est pas capable de donner aux jeunes l’espoir que la vie vaut la peine d’être vécue se condamne elle-même à un avenir cruel. Faire société c’est partager un projet collectif, se soucier des autres, de tous les autres, ceux qui me ressemblent et ceux qui sont différents, c’est vouloir sans trêve soutenir, aider, expliquer, modifier, aménager, faire place au milieu de nous, pour éviter que certains tombent ou restent seuls au bord du chemin. Faire société, c’est mettre son énergie au service d’une cause pour aider ceux qui, un temps, sont plus faibles, moins informés, sans protection ni atout visible. La roue tourne sans trêve, les constructions humaines s’inventent, se concurrencent et se succèdent car la vie est mouvement et que l’on est toujours plus forts à plusieurs que tout seul, parce que l’union d’un peuple dans et avec ses différences vaut toujours mieux que la division de communautés qui se jalousent ou se méprisent.
Transmettre que la vie vaut la peine d’être vécue, dire que la liberté et la tolérance sont les conditions du bonheur, en appeler à l’amour du prochain, tout ceci relevait de l’intime avant Charlie. Aujourd’hui, tout a changé: ces principes doivent être rendus présents et exprimés avec force dans l’espace public. Parce que chacun a besoin de transcendance, de transposition, de projection dans un idéal plus grand que soi. Parce que chacun a besoin des autres, de tous les autres, dans leurs ressemblances et leurs différences, pour vivre en société. C’est bien d’un projet collectif qu’il s’agit et c’est désormais la tâche de tous, citoyens, politiques, journalistes, étudiants, ouvriers, de le dire, de le vivre et de l’exprimer. Il ne s’agit de rien d’autre que de faire société autrement, un peu mieux, avec un peu plus de lucidité, de générosité, de courage. «Politique est le projet de celui qui veut surprendre l’invention de la société» comme disait l’historien Jacques Revel. Notre projet politique, au sens premier du terme, sera de surprendre l’invention de la société, de l’encourager à se régénérer par la diversité, par la rencontre plurielle à l’école, à l’université, dans l’espace public au nom de la République indivisible, laïque, et fraternelle.
Nous vous proposons de venir en parler le 29 janvier à l’Assemblée Nationale à 18h. Inscription à: lavenirnattendpas@gmail.com. www.lavenirnattendpas.fr