La démocratie, un sujet important pour tous
Le sondage de la newsletter #mars 2021 portait sur la vision de la vie politique. Plus de 60% des répondants ont souhaité prendre part aux réflexions de L’ANAP et la thématique « Liberté et Démocratie » est arrivée en tête à plus de 40%. Retrouvez les résultats du sondage ici
La démocratie est un sujet qui n’est absolument pas délaissé par les citoyens, en dépit de l’abstention qui bat, scrutin après scrutin, toujours plus de records. Comment l’expliquer ?
Tel un mobile de Calder, les mondes économique, politique et civil sont interdépendants
En 1931, le sculpteur Alexander Calder crée une œuvre qui portera bientôt son nom et se répandra très vite tout le long du XXe siècle. Le « mobile de Calder » est une sculpture mue généralement par le vent, l’eau ou l’électricité. Les mobiles suspendus au-dessus des landaus des enfants en sont sans doute la forme la plus répandue. La particularité de ces œuvres, qui reposent sur le mouvement cinétique, c’est que chacune des branches est interconnectée avec les autres de sorte que si l’une bouge, tout bouge, dans des mouvements qui semblent aléatoires et irréguliers.
Les relations qui régissent notre société peuvent être vues comme un mobile de Calder. Le triptyque entreprise, société civile et politique est lié de sorte qu’il suffit que l’une bouge pour que le reste bouge également. Il existe donc une « énergie cinétique » des pouvoirs qui l’imbrique entre eux, un mouvement entre les forces, une entropie sociale (Forsé, 1989).
Par exemple, nous pouvons observer l’incompréhension qu’engendre la puissance des GAFA[1] face au monde politique. Les monopoles numériques cumulent ensemble un PIB supérieur à un petit état au point que le Danemark s’est vu poussé à nommer un « ambassadeur des GAFA » en 2017 et leur accorder une reconnaissance due à un État sur la simple base de leur puissance économique. Cette relation influence ces deux mondes entre eux mais a également un impact sur la confiance que la société civile leur porte et qui s’amenuise peu à peu.
Et ce n’est qu’un exemple. La crise des institutions est profonde et les causes sont multiples. L’absence de représentativité du personnel politique, tant en termes de cadres de vie qu’économiques, s’ajoutent à la lenteur des réformes face à l’urgence climatique ou aux (r)évolutions numériques.
Face à ce constat, plusieurs tentatives de revitalisation de la vie politique ont vu le jour, par exemple avec En Marche, mais dont l’appareil n’est pas parvenu à aller au bout de son engagement. (Méadel, 2020). Une des raisons qui a participé à la fragilisation de cet espoir a été l’utilisation du concept de « société civile » comme argument de campagne. Pendant les élections législatives, la moitié des candidats de la bannière En Marche devaient être dits « membres de la société civile » au sens où ils n’étaient pas déjà élus, alors même que pour un certain nombre d’entre eux, l’essentiel de leur activité professionnelle s’était exercé dans le même milieu politique.
Mais alors, qu’est-ce qu’un « professionnel » de la politique ?
La question de la nature « professionnelle » du personnel politique est une question qui a animé les penseurs dès le début du XXème siècle (Weber, 1919[2013]) et la question est revenue régulièrement à l’occasion de plusieurs mutation de l’espace politique (Michon & Ollion, 2018) Il est considéré que sont des professionnels de la politique ceux qui : « ont été formés pour faire de la politique, ne vivent (financièrement) que de la politique ou n’ont pas exercé d’autres fonctions » (ibid.). Ainsi, il n’est pas nécessaire d’être élu, pour en faire une profession.
L’ancien Premier Ministre Édouard Philippe assume lui-même de voir la politique comme un métier tout en reconnaissant le caractère controversé de cette vision (Les Chemins de la philosophie, 2021). Et pour cause, il existerait d’un côté les « professionnels » de la politique et de l’autre les citoyens motivés et militants associatifs.
Depuis 2014, les listes « sans étiquettes » ou « citoyennes » se développent de plus en plus et ont permis d’enrichir le débat, surtout pour les élections municipales. La société civile s’est mobilisée pour s’installer dans l’espace public laissé vacant par les institutions politiques.
Les listes sans étiquettes demeurent une réelle opportunité de relancer le débat public. Elles réussissent à se mettre d’accord sur un projet commun et fédérateur, sans nécessairement avoir les mêmes parcours intellectuels vers la chose publique. Elles s’intéressent à des sujets délaissés par les partis qui s’accrochent à des prises de position beaucoup trop idéologiques pour un échelon local : la qualité de vie, le rythme des vies personnelles et professionnelles, le lien social entre les habitants, la qualité de l’alimentation collective…
Hélas, cette utilisation de « l’affichage sans étiquette » a été galvaudée par les partis eux-mêmes, par exemple aux dernières municipales. Lorsqu’un candidat est élu grâce à son parti politique, il reverse une partie de son indemnité sous la forme d’une cotisation dont le montant varie en fonction du parti. Un exercice de transparence de la vie publique consisterait à permettre aux électeurs de savoir de manière systématique les accords financiers qui existent entre candidats et partis, de sorte de discerner ceux qui cachent leur logo pour se dire « citoyens » et ceux qui sont réellement autonomes.
Ce retour des listes sans étiquette nous renvoie à la fois à l’engagement politique comme une vocation, une mission temporaire dans une vie, et à la fois au dialogue démocratique comme une concertation, une co-construction et une fédération sur un projet commun. Ce fonctionnement de la démocratie évoque celui de l’Assemblée nationale pendant la IIIe République. Les lois parmi les plus solides de notre société ont été promulguée dans la concertation et le compromis de toutes les parties prenantes. Liberté de la presse (1881), lois Ferry sur l’enseignement primaire obligatoire et gratuit (1881-1882), loi relative à la création des syndicats professionnels (1884), loi relative au contrat d’association (dite loi 1901) et enfin laïcité de l’État (dite loi 1905). Si le dialogue était au centre de la construction législative, certaines de ces lois sont également des lois qui affirmaient la confiance de l’État en les corps intermédiaires : en particulier les lois de Waldeck-Rousseau qui ont amené à la création des syndicats et des associations (Bellon, 2017).
Des élections départementales finalement pas si « locales »
Certains scrutins sont encore aux mains des partis politiques, notamment du fait de leur technicité, comme les élections départementales, régionales et européennes. Il n’est pas réellement possible, ou du moins très difficile, d’apporter une offre politique autre que dépendante d’un parti pour ces scrutins. Et pourtant, les élections départementales comptent encore parmi les scrutins dits « locaux », où l’abstention est systématiquement record.
Le canton Malakoff-Montrouge (92) aux élections départementales en est représentatif : 6 listes se présentent et toutes sont portées par des partis politiques, mais elles peinent à expliquer l’impact que leur élection a sur le quotidien des gens et hors des compétences des autres institutions publiques (6 en Ile-de-France). Ici aussi, la confiscation du débat politique par les partis participe à alimenter des machines technocratiques déconnectées des électeurs.
Retrouvez l’article « Les départements de la petite couronne de Paris (92, 93 et 94) sont-ils vraiment indispensables ? »
L’expression « liste citoyenne » réaffirme le besoin d’une partie de la société de se faire entendre en tant que ce qu’ils sont, ou pour ceux qui vivent leur situation au quotidien et non pas pour des couleurs électorales ou une machine bureaucratique enrayée et déconnectée.
Favoriser l’éducation politique et valoriser les actions citoyennes, simplifier les couches administratives et territoriales, limiter les mandats : des pistes à envisager ?
En conclusion, pour « reprendre confiance dans la politique », où le problème viendrait des électeurs, il conviendrait de prendre le problème à l’envers et considérer que c’est à la chose publique de « reprendre confiance dans la citoyenneté ».
Sources :
Bellon, C. (7 juin 2017). Généalogie de la société civile. Le 1, n°158.
Forsé, M. (1989). L’Ordre improbable : Entropie et processus sociaux. Paris: PUF.
Méadel, J. (16 septembre 2020). Dans une période de “crise totale”, la démocratie ne peut plus attendre. Tribune sur Le Monde.
Michon, S., & Ollion, É. (2018). Retour sur la professionnalisation politique. Revue de littérature critique et perspectives.
Philippe, É. (4 juin 2021). Les Chemins de la philosophie. Edouard Philippe : “Un homme politique a le droit de dire « je ne sais pas »”. (A. Van Reeth). France Culture.
Weber, M. (1919[2013]). Le savant et le politique. Paris: PEF Universités.
[1] GAFA : acronymes des grands monopoles numériques américains : Google Apple Facebook et Amazon.
Stéphane Manet (02/06/2021)
Ingénieur pédagogique et formateur
Titulaire d’un Master Européen de Recherche en Formation des Adultes après une longue expérience dans le secteur de l’ESS et de la vie associative.
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