Un étranger, amoureux de la France qui écrit un livre sur le système éducatif. C’est plutôt rafraichissant, après On achève bien les écoliers, « essai » sur les dysfonctionnements du système éducatif français 1er degré/2nd degré, Peter Gumbel écrit Elite Academy, enquête sur la France malade de ses grandes écoles. Rien de neuf sous le soleil de l’élite? Pas si sur..
Entre récit professionnel et photographie d’un système méritocratique qui repose sur la performance scolaire, l’enquête se transforme vite en deux récits parallèles. Dès la première scène, car il s’agit bien d’une scène, l’auteur-insider dans la peau du directeur de la communication nous plonge dans le « système Sciences po », dans ce qui fut les derniers mois avant la chute d’un homme controversé Richard Descoing et dans l’analyse (vue et revue) de la construction des élites françaises.
Les comparaisons sont toujours instructives mais elles ont leurs limites. Peu ou prou l’école représente toujours l’idéal d’une société, elle hérite bien souvent des choix qui ont construits les fondements de celle-ci. On y met souvent tout ce que l’on espère de mieux car elle incube, berce l’idéal de société. Mais dans le cas français, le système éducatif reproduit les inégalités existantes de la société. La devise républicaine des frontons des écoles ne résonne plus, la compétition et la sélection l’emportent sur le bien-être et les progrès du plus grand nombre.
Peter Gumbel dénonce donc un système élitaire et élitiste qui freine l’évolution française : l’élite dirigeante fonctionne en vase clos, elle arrive dans les hautes sphères de l’Etat et du monde de l’entreprise comme une récompense à leur parcours, cerise sur le gâteau. Au-delà du refrain lancinant sur les élites dirigeantes, le creusement des inégalités, le journaliste pose la question de la transparence (thème cher en ce début de siècle) mais aussi de la transposition du schéma éducatif vers celui du monde professionnel. Le bien-être au travail est un sujet tabou qui connait quelques failles depuis la vague de suicides chez Orange, le bien-être à l’école est un tabou tout court. Et pourtant les similitudes sont claires : confiance en soi, estime de soi, reconnaissance du travail, valorisation du travail de groupe. Du banc de l’école au salariat le parallèle est effrayant : les fautes sont pointées, l’intelligence primée sur la compétence tant à l’école qu’au travail. Les racines d’une société se trouvent bien dans l’école et ce qu’elle produit. L’école reflète les affres d’une société de plus en plus fracturée.
En illustration tout au long de l’enquête le cas Sciences Po où finalement seuls les gens du sérail et les journalistes ont l’impression d’assister à un séisme, les autres ont peut être eu l’impression d’assister à une tempête dans un verre d’eau. N’en renforçant pas moins les frustrations et les sentiments désabusés.
Si le livre s’inscrit dans une littérature identifiée sur la problématique du renouvèlement des élites, où certains chiffres, certaines comparaisons éclaircissent toujours l’analyse, l’intérêt grandit à la toute fin lorsque Peter Gumbel écrit que certes la France est malade de ses élites mais que l’érosion de celles-ci est en marche, que l’élite française devra délaisser les traditions si elle ne veut pas tirer vers le bas l’ensemble d’une société.
Cette évolution lente mais sure devra être suivie de fait. Pour cela, la société française elle-même dans son ensemble devra se départir de son habitus de considérer l’élite comme incontournable. Le travail reste entier car au-delà des grands corps d’Etat c’est l’ensemble des représentations sociales qu’il faut s’attacher à déconstruire et pour cela l’école et l’université ont leur mot à dire.