L’action de l’homme sur le reste de la nature est irréversible : augmentation des maladies infectieuses, réchauffement climatique, extinction massive des espèces… Il est urgent d’intégrer une vision environnementale dans nos décisions.
Découvrez l’analyse de Stéphane Manet sur le rôle de l’homme dans la multiplication des épidémies infectieuses d’origine animale.
La crise sanitaire de la maladie COVID-19 est aussi un enjeu environnemental
La crise de la COVID-19 a durablement impacté notre vision des risques épidémiques (voir travaux faisant consensus et références à la fin de l’article). La compréhension des maladies infectieuses et leur propagation revêt finalement autant d’une compréhension biologique que sociologique du phénomène.
Ainsi, n’existerait-il pas une réflexion environnementale de long cours à porter sur notre mode de consommation et notre rapport au vivant pour « limiter » les crises à venir ?
Les épidémies suivent les routes commerciales
L’histoire de l’humanité est traversée par de grandes épidémies liées aux déplacements. Les premières connues remontent au paléolithique. Une pandémie a durablement marqué les esprits : au début du XIVe siècle (1347-1351), la peste noire a envahi l’Europe le long des routes de la soie à partir de rongeurs d’Asie centrale, dont les puces transmettaient le pathogène (bactérie Yersinia Pestis) (Sénat, 2020). La pandémie s’est propagée rapidement et durablement en Europe, en Afrique du Nord et en Asie et a provoqué la mort de 30 % à 50 % de la population des hommes. Après le premier épisode de peste, le pathogène a pu s’installer sur des espèces réservoir endémiques d’Europe et des résurgences sont régulièrement réapparues jusqu’au XVIIIe siècle.
variole, qui traversa l’Atlantique de l’Europe vers les Amériques par les routes maritimes, décima entre 50 % et 80 % des natifs américains entre 1780 et 1782 (ibid.).
Le choléra au XIXe siècle parti du delta du Gange en Inde de 1817 à 1823, se propagea jusqu’à Paris, Londres et même New York (ibid).
Les épidémies suivent les routes commerciales
L’histoire de l’humanité est traversée par de grandes épidémies liées aux déplacements. Les premières connues remontent au paléolithique. Une pandémie a durablement marqué les esprits : au début du XIVe siècle (1347-1351), la peste noire a envahi l’Europe le long des routes de la soie à partir de rongeurs d’Asie centrale, dont les puces transmettaient le pathogène (bactérie Yersinia Pestis) (Sénat, 2020). La pandémie s’est propagée rapidement et durablement en Europe, en Afrique du Nord et en Asie et a provoqué la mort de 30 % à 50 % de la population des hommes. Après le premier épisode de peste, le pathogène a pu s’installer sur des espèces réservoir endémiques d’Europe et des résurgences sont régulièrement réapparues jusqu’au XVIIIe siècle.
La variole, qui traversa l’Atlantique de l’Europe vers les Amériques par les routes maritimes, décima entre 50 % et 80 % des natifs américains entre 1780 et 1782 (ibid.).
Le choléra au XIXe siècle parti du delta du Gange en Inde de 1817 à 1823, se propagea jusqu’à Paris, Londres et même New York (ibid).
Credit-photo-La-peste-dAsdod-Nicolas-Poussin-1631-Musee-du-Louvre-par-Lejeune-Gregory-oeuvre-du-domaine-public
Les épidémies infectieuses sont souvent des zoonoses
Retracer l’émergence de ces maladies à partir d’une espèce réservoir est fréquent. Entre 1940 et 2004, 335 maladies infectieuses ont été découvertes, dont 60 % sont des « zoonoses », des maladies d’origine animale, et 72 % d’entre elles viennent de la faune sauvage (Jones, et al., 2008). Les virus, qui rentrent dans la cellule mais qui n’ont pas besoin de rentrer dans le noyau pour se multiplier, peuvent plus facilement s’adapter à plusieurs espèces.
Ainsi, un schéma typique semble se répéter : une espèce réservoir possède un pathogène qui n’est pas forcément dangereux pour l’hôte, mais dont la proximité avec l’homme accentue les risques de transmission. La maladie se propage à travers les routes commerciales et dans les zones de densification urbaine importantes (la grande peste de Londres en 1665, la peste de Marseille en 1720…). La grippe espagnole, qui est une forme de grippe aviaire, s’inscrit dans ce schéma avec la particularité que ce sont les conflits armés (et les mouvements de troupes) du début du XXe siècle qui ont davantage participé à la propagation.
Les progrès de la médecine n’empêchent pas les épidémies
Au XXe siècle, le développement des connaissance médicales, notamment la pasteurisation, les vaccins ou les antibiotiques ont amené les scientifiques à envisager que le contrôle de zoonoses relevait de mesures d’hygiène et d’accès aux traitements. Ainsi, depuis 1900, la récurrence des maladies infectieuses augmente, mais le nombre de morts diminue (Institute of Medicine, 2015).
La grippe asiatique de 1956 à 1958 (grippe A, H2N2) aurait tué deux millions de personnes selon l’OMS, pour réapparaître en 1968 (dite « grippe de Hong Kong ») par recombinaison virale (H3N2) et faire un million de morts.
À partir des années 1980, avec l’émergence de l’épidémie du VIH et l’avènement des résistances importantes aux antibiotiques, les scientifiques ont compris que la médicamentation seule ne suffisait pas pour éradiquer les maladies infectieuses, virales ou parasitaires, ni engendrer des résurgences. Le monde est confronté à de multiples épidémies : le Nipah en Malaisie en 1998, le SARS en 2002, le Chikungunya entre 2004 et 2006 à la Réunion, le H1N1 en 2009, le MERS en 2012 au Moyen-Orient, Ébola en 2014 en Afrique de l’Ouest, ou la COVID-19 et ses différents variants qui ont transformé une épidémie en pandémie.
L’élevage intensif et la fragilité des populations, des vecteurs de propagation
Le risque de départ des maladies provient des régions ayant des forêts tropicales, une haute richesse d’espèces de mammifères et des variables en lien avec le changement des terres vers l’agriculture (Allen, 2017).
Pour décortiquer le processus d’émergence de ces pathogènes zoonotiques (bactéries et virus), il y a dans le monde microbien, autour de nous, des bactéries qui font partie des écosystèmes et dont une partie est pathogène et une partie ne l’est pas (Kreuder et al., 2015).
Dennis Carroll, chercheur en biologie médicale, et ses associés ont estimé que le nombre de virus encore inconnus (Dennis Carroll, 2018) dans certains groupes d’animaux, en particulier les mammifères et les oiseaux, était de 1,7 million. Heureusement, tous ces virus ne sont pas pathogènes pour l’homme.
Pourtant, plus d’animaux ne signifie pas plus de maladies : un grand nombre d’entre elles sont inoffensives ; de plus, la diversité animale tend à se réduire. Ainsi, l’accélération des propagations n’est pas que liée aux animaux sauvages. D’ailleurs, les animaux domestiqués sont ceux avec le plus de pathogènes partagés (notamment le chien).
Le risque de transfert d’un agent pathogène entre l’animal et l’homme est plus important quand la distance phylogénétique est faible, c’est-à-dire quand l’animal et l’homme sont proches dans le processus d’évolution (Kreuder Johnson, Hitchens, & Smiley Evans, 2015).
Dans les élevages intensifs, dans lesquels la population animale est génétiquement peu diverse, a une densité très forte et où les animaux sont stressés, les agents pathogènes mutent plus facilement et se propagent très rapidement. Le virus Nipah de 1998, en Malaisie, venait à l’origine d’une chauve-souris et a été contrôlé suite à l’abattage d’un million de porcs qui propagèrent largement le virus.
Ainsi, bien qu’une plus grande diversité animale implique une plus grande diversité microbienne, le manque de diversité animale quant à lui implique davantage de mutations du microbe, une propagation plus rapide et donc potentiellement plus dangereuse des pathogènes.
Depuis le néolithique, le poids relatif de la faune sauvage est passé de 99 % à 1 %. S’agissant du contact entre animal et homme, le poids des vertébrés sur terre est porté à 32 % d’humains et à 67 % de bétail, le 1 % restant venant de la faune sauvage. La pression anthropique exercée sur le reste du règne animal et provoquant la sixième extinction de masse de la planète participe largement à la propagation des maladies infectieuses.
La réduction des habitats de la faune sauvage augmente les contacts entre les humains et les animaux. Ébola, par exemple, est plus fréquemment localisé dans les zones ayant subi une déforestation récente.
Chez l’homme, il faut considérer la vulnérabilité de certaines populations humaines par rapport à d’autres, notamment en Afrique ou en Asie, qui a aussi un impact sur les risques de propagations.
L‘homme, le premier responsable des épidémies d’origine animale
En conclusion, l’augmentation de nouvelles maladies infectieuses, en dépit des progrès de la médecine des XIXe et XXe siècles, est à mettre en lien avec l’activité humaine et son impact sur la nature.
Les pressions anthropiques sur les habitats de la faune sauvage augmentent les risques de contacts, la production intensive de bétail augmente les risques de mutation, et enfin, le commerce mondialisé augmente les risques de propagation ; sans compter les autres impacts sur l’extinction de masse des espèces, ou d’autres effets, tel le dérèglement climatique. Cet effet de dominos favorise l’accroissement de l’émergence de zoonoses et de risques pandémiques.
Des changements sont urgents
La COVID-19 et ses variants ont confirmé que les maladies infectieuses relèvent d’un problème plus profond et plus ancré dans le mode de vie de l’humanité. Notre relation avec le vivant doit être remise en cause, à une échelle mondiale.
Pour agir, de profondes réformes de nos institutions pourraient permettre d’inverser la tendance, incluant une surveillance plus fine des signaux faibles, des alertes précoces et une meilleure coopération entre les scientifiques, les acteurs sanitaires et les pouvoirs publics.
Il faudrait d’abord beaucoup plus strictement réguler la commercialisation et le trafic des animaux sauvages pour limiter les contacts avec les hommes, mais aussi entre espèces, notamment sur les marchés : à Wuhan d’où serait partie la crise de la COVID-19 se croisent des animaux qui ne se croiseraient pas dans le milieu sauvage.
Ensuite, notre relation avec la faune domestique a besoin d’évoluer. Nous consommons trop de viande et nous la déplaçons trop pour la consommer. Sans se priver de viande, en diminuer la consommation diminuerait également les risques de cancers, d’obésité, et participerait à la réduction de l’empreinte de l’homme sur la nature. 70 % des terres agricoles sont utilisées pour nourrir le bétail, participant encore plus à la réduction des espaces sauvages.
Enfin, privilégier l’agriculture locale permet une résilience beaucoup plus forte face aux crises sanitaires et ainsi, d’éviter de conduire à l’abattage des millions d’animaux à chaque crise, telle que celle du virus Nipah ou de la grippe aviaire.
En conclusion, l’action de l’homme sur le reste de la nature est irréversible : augmentation des maladies infectieuses, réchauffement climatique, extinction massive des espèces. Il est urgent d’intégrer une vision environnementale dans nos décisions.
Stéphane Manet
- Ingénieur pédagogique et formateur
- Titulaire d’un Master Européen de Recherche en Formation des Adultes après une longue expérience dans le secteur de l’ESS et de la vie associative..
Travaux cités
Allen, T. M.-T. (2017). Global hotspots and correlates of emerging zoonotic diseases. Nat Commun , 8(1124).
Dennis Carroll, P. D.-M. (2018). The Global Virome Project. Science, 358(6378), 872–874.
Institute of Medicine. (2015). Emerging Viral Diseases: The One Health Connection: Workshop Summary. Washington (DC): National Academies Press.
Jones, K. E., Patel, N. G., Levy, M. A., Storeygard, A., Balk, D., Gittleman, J. L., & Daszak, P. (2008). Global trends in emerging infectious diseases. Nature, 451, 990–993.
Kreuder Johnson, C., Hitchens, P., & Smiley Evans, T. (2015). Spillover and pandemic properties of zoonotic viruses with high host plasticity. Sci Rep, 5(14830).
Sénat. (2020). Les nouvelles menaces des maladies infectieuses émergentes. Paris.
Autres inspirations :
France Culture : Didier Sicard : “Il est urgent d’enquêter sur l’origine animale de l’épidémie de Covid-19”
Courrier International : Dennis Carroll, biologiste : “L’épidémie actuelle était prévisible”
Visualizing the History of Pandemics
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