Dans Libération d’aujourd’hui, un article intéressant met en lumière les avantages de notre politique familiale et du droit du travail français : en permettant aux femmes d’avoir des enfants tout en conservant leur emploi, la France encourage fortement sa natalité. Or, la natalité est une des clés de la croissance potentielle….Comparaison avec l’Allemagne : « L’Allemagne a le mal de mères »
Un quart des Allemandes diplômées de l’enseignement supérieur n’ont pas d’enfant. Un phénomène qui inquiète Berlin dans un contexte de chute vertigineuse de la démographie.
Britta a une vie bien remplie. Cadre dans une agence de pub, elle travaille beaucoup, fait du sport, sort pas mal et part parfois au soleil avec Mark, son compagnon. Ils vivent ensemble dans un appartement aéré surplombant Berlin. Voici dix ans, ils ont décidé d’un commun accord de ne pas avoir d’enfant,«pour profiter pleinement de la vie». A 45 ans passés, Britta se demande parfois si elle a fait le bon choix, mais se rassure en regardant le sort de ses amies devenues mères : «Toutes ont dû accepter une cassure dans leur carrière.»
Britta est l’incarnation d’un phénomène allemand suivi de très près par les démographes, celui des quadras et quinquas diplômées et sans gamin. En effet, 20% des Allemandes de l’Ouest nées entre 1960 et 1964 n’ont pas d’enfant, 22% n’en ont qu’un. Et la probabilité d’être sans descendance augmente fortement avec le niveau d’études. «Un quart des diplômées de l’enseignement supérieur n’ont pas d’enfant, résume Christian Schmidt, chercheur à l’institut économique berlinois DIW, alors que ce pourcentage n’est que de 15% chez celles qui se sont arrêtées au bac.»
Le phénomène inquiète les cercles du pouvoir à Berlin, dans un contexte de rigueur et de réduction des dépenses publiques. Car ce sont précisément les femmes les plus aisées qui ne font pas d’enfant, alors que le nombre de jeunes vivant dans un foyer pauvre, qui dépend donc des prestations sociales, ne cesse, lui, d’augmenter. Régulièrement, la presse allemande épingle ces «Dinks» (double income, no kids, «deux revenus, pas d’enfant»), les accusant d’hédonisme et d’égoïsme. La réalité est souvent bien différente.
«Les adultes se partagent le peu d’enfants»
Caroline Elias, la quarantaine, traductrice, vient de prendre place dans un café calme, à quelques pas de la porte de Brandebourg, avec son père. Agé de 80 ans, il a quatre enfants dont les plus jeunes sont trentenaires. Tous sont diplômés, tous sont sans rejeton. «J’ai toujours voulu avoir des enfants, explique Caroline. Mais j’ai d’abord fait mes études, longues. A la trentaine, j’ai commencé ma carrière alors que je venais de me marier, ce qui m’a d’ailleurs valu de me voir refuser un premier emploi. Je venais de recevoir la confirmation de mon embauche lorsque le service du personnel m’a finalement retoquée parce que j’étais une jeune mariée : j’étais susceptible de tomber enceinte rapidement… Puis je me suis séparée de mon mari, et j’ai eu un second compagnon. Il était traumatisé par un divorce qui s’était soldé par d’énormes exigences financières de son ex-femme, comme le permettait à l’époque la loi. Il ne voulait pas d’autre enfant. Et maintenant, c’est sans doute trop tard.»
Entre la fin des études supérieures – très longues en Allemagne jusqu’à la réforme européenne des diplômes introduiterécemment -, le premier emploi et la fin de l’âge de procréer pour les femmes, le délai est très court, six ou sept ans, observait déjà en 2006 un rapport de l’institut DIW. «Si, au cours de cette période, une femme n’a pas à ses côtés le bon compagnon, un père potentiel, elle restera sans enfant, estiment ses auteurs. Contrairement à ce que l’on prétend parfois, nombre de ces femmes sans enfant n’ont pas choisi ce destin.»
Le sujet est même éventuellement douloureux. «Parfois, je me demande pourquoi acheter un appartement, poursuit Caroline Elias. Je n’ai pas d’enfant à qui le laisser en héritage. J’aimerais partager, donner…» A défaut d’enfant, elle s’investit dans l’éducation de son filleul, le fils de sa meilleure amie.«Magda élève seule Leon. Elle travaille dans le cinéma et elle a besoin de moi pour le garder lorsqu’elle est en déplacement, parfois pendant plusieurs semaines.» Caroline aide Leon à faire ses devoirs, l’emmène au théâtre, au cinéma, au musée… «On vit dans une société où beaucoup d’adultes se partagent le peu d’enfants disponibles», constate Otto-Heinrich Elias, le père de Caroline.
Dans un article du magazine féminin Brigitte sous le titre «Trop vieille pour un enfant ?», la journaliste Sabine Reichel décrit l’évolution de ses sentiments de femme sans enfant : féministe convaincue à 30 ans, adepte de la liberté à 40 ans, éplorée à 50 ans. «Jamais on ne devrait renoncer à quelque chose d’aussi essentiel qu’un enfant pour des raisons soi-disant raisonnables, dit-elle. Ne pas avoir d’enfant est un indescriptible sentiment d’abandon de soi et d’échec. Là-haut, dans les pénombres de notre psychisme, lutte le « non » contre le « oui ». Pas de fille ou de fils, pas de petits-enfants pour mes parents. Personne n’héritera du beau nez, des jambes parfaites, du charme de ma mère, personne de l’humour de mon père, poursuit-elle. Ils me manquent, tous ces défis que me lancerait une jeune vie à mes côtés…»
Chute du Mur et de la démographie
«L’ampleur du phénomène des femmes âgées de 40 à 50 ans sans enfant est le facteur décisif expliquant le faible taux de natalité en Allemagne», relève un rapport de l’Office fédéral des statistiques publié cette année. Le pays ne compte que huit naissances pour 1 000 habitants, le taux le plus bas au monde. En 2011, un nouveau record a été atteint, avec 663 000 naissances, 15 000 de moins qu’en 2010. Comme chaque année depuis 1972, le solde de la natalité a été négatif, avec 852 000 décès. Seule l’immigration a permis à la population allemande de se maintenir. A long terme, l’Allemagne ne devrait plus compter que 65 à 70 millions d’habitants, au lieu de 81,5 millions l’an passé. «Et le nombre de naissances va continuer à diminuer, tout simplement parce que celui des femmes en âge de procréer baisse, ajoute Steffen Kröhnert, chercheur à l’Institut berlinois pour la population et le développement.Et cela, même si le nombre d’enfants par femme augmente légèrement depuis 2010, pour atteindre 1,4 enfant au lieu de 1,39 auparavant.»
Cette hausse discrète du taux de fécondité est pour l’instant le seul effet positif de la politique familiale coûteuse mise en place par étapes après l’ère Helmut Kohl, à la fin des années 90, remplaçant celle héritée de l’époque de la guerre froide. En RFA prévalait alors le modèle «bourgeois» qui confine les femmes au foyer : pas de crèche pour les tout-petits, école à mi-temps pour les plus grands, le tout couronné par une fiscalité encourageant les mariages mais pas les naissances. En RDA, à l’inverse, c’était le système soviétique : les femmes travaillent, les enfants fréquentent la crèche à la journée voire à la semaine, la natalité est encouragée par la distribution sélective de logements aux jeunes familles. «La politique familiale ouest-allemande a bloqué les évolutions sociales pendant des décennies, estime Michaela Kreyenfeld, sociologue à l’Institut Max-Planck, à Rostock. Depuis la chute du Mur, la chute de la démographie menace l’équilibre des budgets sociaux.»
«Prime aux fourneaux»
Avec un budget de 195 milliards d’euros par an,la politique familiale allemande est aujourd’hui l’une des plus coûteuses au monde (1) . Elle aligne quelque 160 mesures supposées encourager la natalité, parmi lesquelles un très généreux salaire parental (60% du salaire, plafonné à 1 800 euros versés pendant douze ou quatorze mois après la naissance d’un enfant) et des allocations familiales de 250 euros par enfant et par mois. Toutefois, ces mesures sont parfois contradictoires, effet du jeu compliqué des coalitions au pouvoir à Berlin. Si la CDU d’Angela Merkel est désormais convaincue qu’il faut encourager le travail des femmes, il n’en est pas de même pour la CSU, son alliée bavaroise particulièrement conservatrice. Ainsi, le gouvernement soutient le développement des modes de garde pour les jeunes enfants (chaque famille pourra exiger une place en crèche à partir de l’été 2013). Mais il instaure aussi une «prime aux fourneaux» (250 euros par mois s’ajoutant aux allocations familiales pour les mères au foyer) dont le coût élevé freinera la construction de nouvelles crèches… «On cherche à inciter les femmes à travailler, mais on ne supprime pas le régime fiscal très désavantageux pour les mères actives ; on veut créer plus de crèches, mais on met en place une prime aux fourneaux, déplore Steffen Kröhnert.Tout cela est incohérent.» Et freine l’évolution des mentalités.
La grande majorité des Allemandes sont pour la plupart persuadées que le meilleur mode de garde pour un enfant de moins de 3 ans est de rester exclusivement avec sa mère ou sa grand-mère, comme autrefois. Elles sont convaincues que, pour être une bonne mère, il faut renoncer à ses rêves professionnels. Les jeunes diplômées ne sont plus prêtes à faire les sacrifices consentis par leurs propres mères. Ainsi Britta qui a vu la sienne souffrir de sa situation de femme au foyer. «Ma mère m’a toujours dit : « Tu ne feras pas comme moi. Tu auras ton indépendance financière »», se souvient-elle. «Le modèle traditionnel dominant, où le père travaille tandis que la mère s’occupe des enfants et du foyer, est de plus en plus rejeté par les jeunes femmes, notamment dans les villes, observe Steffen Kröhnert. Entre carrière et famille, les plus éduquées choisissent la carrière. Le principal problème de l’Allemagne reste la place accordée aux femmes dans la société.»
(1) L’Allemagne dépense en moyenne 750 PPA (parité de pouvoir d’achat, une unité de mesure fictive utilisée dans les comparaisons internationales) par an et par habitant en prestations sociales destinées aux familles, contre 600 pour la France ou la Finlande qui affichent un taux de natalité pourtant bien supérieur. Seuls la Norvège (1 000 PPA) et le Luxembourg (2 000 PPA) dépensent plus, avec dans les deux cas un taux de fécondité également supérieur à celui de l’Allemagne.
(Photo Flickr CC Christian Bueno)