Le 27 avril 2022, au Mémorial de la Shoah, étaient projetées en avant-première trente minutes du film en cours de montage La rafle du Vel d’Hiv, de David Korn-Brzoza, réalisateur de documentaires, et Laurent Joly, historien.
Ce film passera à une heure de grande écoute sur France 2[1], en juin ou en juillet, à l’approche de la commémoration des 80 ans de la rafle des 16 et 17 juillet 1942, où 12 884 femmes, hommes et enfants juifs furent arrêtés à Paris.
La rafle du Vel d’Hiv constitue l’événement le plus marquant de la France occupée.
La projection fut suivie d’un débat questionnant les enjeux actuels de la mémoire de la « Grande Rafle ».
Enjeu politique, quand un candidat à la présidentielle s’attache à réhabiliter la mémoire de P. Pétain.
Enjeux de transmission, alors que les rangs des survivants de cette rafle, qui étaient à l’époque des enfants ou des adolescents, s’éclaircissent et qu’un jour, ils ne seront plus là pour témoigner. Il ne restait plus que neuf témoins. Ils ont été enregistrés tout de suite, avant même la signature de l’accord de financement du film. L’un est décédé depuis, et deux autres étaient hospitalisés à la date de la projection.
L’un des témoins interrogés pour le documentaire était présent lors de ce débat. Il s’agissait de Rachel Jedinak, qui participe à des initiatives mémorielles, notamment l’apposition de plaques commémoratives avec le nom des enfants déportés dans les préaux des écoles à Paris.
Laurent Joly participait à ce débat, ainsi que le réalisateur et d’autres intervenants. Laurent Joly est directeur de recherche au CNRS. Il est notamment l’auteur de Vichy dans la « Solution finale », de L’État contre les juifs, et de la Falsification de l’Histoire[2]. Le 25 mai paraîtra la Rafle du Vel d’Hiv : Paris, juillet 1942, chez Grasset.
La projection de ce film documentaire à une heure de grande écoute aura un impact indéniable, notamment du fait de sa forte charge émotionnelle. De nombreux films d’archive y font revivre la vie de la communauté juive dans de petites rues de Paris, mais aussi la rafle, et des images de synthèse reconstituent le Vélodrome d’hiver. Cette reconstitution vient appuyer les témoignages des survivants décrivant les conditions d’hygiène déplorables dans lesquelles étaient détenues les personnes raflées (environ 8 000). L’autre centre de détention était Drancy (près de 4 900 détenus). Mais avant cela, les personnes raflées étaient retenues dans différents centres de rassemblement surpeuplés dans la capitale et en banlieue. C’est de l’un de ces centres, la Bellevilloise, rue Boyer dans le 20e, que Rachel Jedinak, alors âgée huit ans, put s’enfuir en compagnie de sa petite sœur.
Le documentaire présente également des documents sur l’arrière-plan administratif et la logistique policière. Des recherches nouvelles menées dans le cadre de la préparation du film par Laurent Joly et une armée de documentalistes ont permis de réaliser que de nombreuses personnes s’étaient suicidées ou avaient fait des tentatives de suicide.
Oui, on peut parler d’un « arrangement criminel entre les autorités allemandes et le gouvernement de Vichy » (Laurent Joly). Les forces de police allemandes n’auraient pas été assez nombreuses pour mener une telle opération, et aucun Allemand ne fut mêlé à l’action. C’est à l’initiative de René Bousquet, sous le sixième gouvernement de Pierre Laval, que neuf mille gendarmes et policiers français furent notamment sollicités pour mener la rafle du Vel d’Hiv[3]. Dire que P. Pétain a « protégé les juifs français » est faux bien sûr, ne serait-ce que parce que la plupart des plus de 4 000 enfants raflés étaient français. D’autre part, la façon dont ont été traités les « juifs étrangers » était criminelle, en violation de la Convention de la Haye de 1907.
Des rumeurs couraient, et la veille du 16 juillet 1942, la résistance juive avait averti les quartiers de la possibilité d’une rafle ; certains policiers avaient prévenu les familles, d’autres détournèrent les yeux pour laisser partir quelques rares enfants. Mais des concierges dénoncèrent des familles et d’autres policiers firent du zèle. Ainsi, malgré tout, les deux tiers des personnes recherchées purent échapper à la rafle. Mais moins d’une centaine d’adultes reviendront du camp d’extermination d’Auschwitz.
[1] Roche Productions, France Télévisions.
[2] Vichy dans la « Solution finale ». Histoire du Commissariat aux questions juives (1941-1944). Grasset, 2006. L’État contre les juifs. Vichy, les nazis et la persécution antisémite (1940-1944). Grasset, 2018 [édition revue et mise à jour, Flammarion/Champs histoire, 2020]. La Falsification de l’Histoire. Éric Zemmour, l’extrême droite, Vichy et les juifs. Grasset, 2022
[3] Contrairement à ce que l’on peut voir dans certains films de fiction évoquant la Grande Rafle de 1942, la milice n’a jamais participé à cette opération.
Marie-Hélène Millot
Ancienne secrétaire de rédaction dans la presse magazine spécialisée et d’entreprise. Retraitée. Doctorante, université Sorbonne Nouvelle, Monde anglophone – histoire des États-Unis au XIXe siècle, histoire africaine-américaine, guerre de Sécession.
Rejoignez-nous !
Pour contribuer, cliquez ici
Pour rejoindre les groupes de réflexion et nous contacter : lavenirnattendpas@gmail.com