La crainte de la deuxième vague du Covid-19 nous a fait entrer dans une période de « crise totale » : pas un Français qui ne s’inquiète à juste titre de son avenir, de sa santé, de celle de ses proches, de son emploi ou encore de son logement. Ces angoisses relèguent au second plan la question démocratique, qui concerne nos libertés de penser, de s’exprimer, de manifester et de s’engager publiquement.
Pourtant, ces libertés essentielles ne sont plus, aujourd’hui, absolument garanties par notre système démocratique parce que la démocratie va mal. La crise de la représentativité et la défiance à l’endroit du politique viennent de loin. En 2017, Emmanuel Macron s’était présenté comme le sauveur d’une République menacée par le vote extrême. Comme la majorité de la gauche de gouvernement, j’y ai cru et j’ai soutenu Emmanuel Macron. Mais la promesse de revitalisation de la vie politique portée par la création d’un mouvement, La République en marche (LRM), fondé sur la volonté d’engager une démarche participative, humaniste et dynamique, n’a pas été tenue. La démocratie est toujours aussi malade.
Absence de contrôle parlementaire
Tout d’abord, l’abstention bat des records historiques et la défiance à l’égard du politique est à son comble : six électeurs sur dix ne se sont pas déplacés pour voter aux dernières élections municipales. La crainte du Covid-19, amplifiée par l’annonce, à quarante-huit heures du premier tour, de la gravité de l’épidémie, n’a fait que s’ajouter au désintérêt pour ces élections. Le confinement et le report aux calendes grecques du second tour ont fait le reste.
Ensuite, le Parlement ne contrôle pas le gouvernement et LRM abuse de sa majorité. A l’Assemblée, elle dispose de 276 députés sur 577, sans compter le soutien des groupes périphériques. Comme l’indiquent eux-mêmes les députés de LRM ayant quitté leur groupe d’origine, aucun débat de fond n’est permis. Il en résulte que l’Assemblée nationale est peu exigeante et s’aligne sur la politique du gouvernement : qu’il s’agisse de l’examen des lois de finance rectificatives ou des lois de financement de la Sécurité sociale, principalement élaborées par les administrations et très peu contestées sur le fond politique, y compris en commission.
« Les mesures d’exception durent depuis plus de six mois, au détriment de nos libertés »
L’adoption du budget de l’hôpital, par exemple, a eu lieu avant la survenance de la crise sanitaire sans tenir compte des revendications pourtant massives des personnels de santé. D’ailleurs, le Parlement a adopté sans broncher les 62 ordonnances qui régissent notre vie quotidienne sous prétexte d’état d’urgence sanitaire. Les mesures d’exception durent depuis plus de six mois, au détriment de nos libertés. Ainsi, la tentative de généraliser l’application StopCovid, aussi peu efficace techniquement que contestable sur le plan éthique et démocratique, fait froid dans le dos ; cette application repère, suit les personnes et signale qui est atteint du Covid-19, ouvrant ainsi la porte au traitement des données personnelles – dont l’anonymat n’est pas garanti – sans consentement, ce qui est strictement contraire à notre Constitution.
Enfin l’antipartisme est à présent enraciné dans la société française, qui se désintéresse de la vie partisane et des propositions des partis politiques. Ces derniers sont trop affaiblis pour changer radicalement leur mode de fonctionnement et répondre aux nouvelles attentes des citoyens. Trois ans après l’élection d’Emmanuel Macron, le bilan est désespérant. En dépit de moyens considérables, LRM n’a pas su faire naître une nouvelle forme d’action politique. Aujourd’hui, elle est une organisation sans structure de pensée, sans volonté de débattre et de convaincre, et ne dispose, comme moteur pour l’action et la conquête du pouvoir, que d’arguments liés à la force charismatique de son leader, devenu l’unique force dominante dans la vie politique comme dans son propre camp.
Le risque d’une « démocratie populiste »
A l’avenir, le risque est grand que peuple et leader ne fassent plus qu’un, dans un face-à-face excluant les corps intermédiaires et favorisant, sur les décombres des partis éliminés durablement, l’émergence d’une « démocratie populiste ». Comme le dit si bien le politiste argentin Ernesto Laclau (1935-2014) : « Le populisme est la capacité du leader à unir les demandes sociales disparates qui n’ont plus un parti pour les représenter. »
Et ce ne sont ni les efforts des partis d’opposition, hélas éparpillés et divisés, ni les exercices méritoires de démocratie participative, comme le grand débat ou même la convention citoyenne sur le climat, quelle que soit la sincérité de leurs participants, qui pourront réintroduire un vrai contrôle démocratique du gouvernement. Les propositions qui en sont issues n’ont pas d’existence normative et, en l’état, hélas, ne trouvent pas de débouchés pour l’action publique. Ces exercices participatifs sont des consultations du public, utilisées comme des stratégies plébiscitaires en ce qu’elles visent à renforcer l’autorité du pouvoir en place. C’est sans doute la raison pour laquelle le référendum promis sur l’écologie risque fort de ne pas venir, tout comme les projets de réforme constitutionnelle, pourtant essentiels pour mener la réforme institutionnelle dont la France a besoin.
Comment faire ? Les propositions de réformes pour remédier à cet affaiblissement inquiétant de notre démocratie ne manquent pas : introduire une dose de proportionnelle à l’Assemblée nationale (15 %, comme le propose le gouvernement), rendre le vote obligatoire, mettre en place des jurys citoyens qui pourraient interroger fréquemment le pouvoir exécutif, instaurer le référendum d’initiative citoyenne, voire, pour certains, créer une troisième assemblée, qui serait une chambre consultative de citoyens tirés au sort…
Pour l’heure, rien n’a encore été retenu. Mais il est certain que ces réformes ne seront rien si l’essentiel n’est pas réalisé : que la politique inspire enfin confiance. La démocratie ne peut plus attendre. Il y a urgence. C’est un travail considérable, qui concerne toutes les formations politiques. Et au premier chef le président de la République.
Juliette Méadel