La politique industrielle en 2014 signe le nouvel âge de l’interventionnisme public. Ni nationalisations comme dans les années 80, ni laisser-faire caractéristique des années 90 et 2000. Il s’agit maintenant, pour les Etats, de jouer de leur influence, de coordonner, de stimuler, et, quand c’est nécessaire, mais seulement en cas d’urgence sociale, de prendre des participations publiques.
J’en parlais aujourd’hui, dans une interview au parisien.
Que vient faire l’Etat dans le dossier Alstom ?
Politique industrielle. L’Etat s’est invité dans les négociations entre le groupe français et l’américain General Electric. Une démarche qui bouleverse le clivage traditionnel droite-gauche.
L’Etat a-t-il eu raison d’intervenir ?
LAURENT WAUQUIEZ. Alstom est une entreprise stratégique pour la France : filière nucléaire et TGV ! On a vécu Peugeot avec le chinois Dongfeng. La gestion du gouvernement est calamiteuse. Arnaud Montebourg s’agite mais sans résultat. On se réveille trop tard et parce que les caméras se braquent sur le dossier. Le seul moyen d’éviter la vente à la découpe c’est d’entrer au capital temporairement, comme l’avait fait Nicolas Sarkozy en 2004 et comme l’avait réussi Obama avec General Motors. JULIETTE MÉADEL. Je suis d’accord sur le caractère stratégique d’Alstom. Mais il est temps d’être pragmatique, Monsieur Wauquiez. Vous raisonnez comme si la crise de 2008 n’avait jamais eu lieu. Or le monde a changé. L’Etat ne peut plus voler au secours de toutes les entreprises privées sous prétexte qu’elles sont menacées par des acquisitions étrangères. Une intervention publique est justifiée si l’intérêt général est en jeu et si l’entreprise ne peut s’en sortir sans aides de l’Etat. Or ce n’est pas le cas d’Alstom. Economiquement, ce serait injustifié : l’Etat a mieux à faire avec l’argent public que là où des investisseurs privés ont les moyens de le faire. Juridiquement, ce serait risqué voire impossible au regard des règles européennes. Politiquement, ce serait un coup d’épée dans l’eau. JEAN ARTHUIS. Je suis heureusement étonné d’entendre cela de la part d’un membre éminent du Parti socialiste. Je pense que le gouvernement n’aurait pas dû intervenir du tout, l’Etat n’en a pas les moyens et ce n’est pas son rôle. Souvenons-nous des déboires de l’Etat actionnaire dans le Crédit lyonnais. Vous prenez, Monsieur Wauquiez, l’exemple de l’Etat américain, qui n’a pas hésité à intervenir dans General Motors. Or ce n’est pas un simple coup de pouce qu’il est venu donner, mais il a restructuré l’entreprise dont il a fermé plusieurs usines. L’Etat en France n’est pas capable d’assumer une telle mission. LAURENT WAUQUIEZ. Mais c’est tout simplement de la démission patriotique ! Ouvrez les yeux : la plupart des pays développés prennent des mesures de protection vis-à-vis des investisseurs étrangers lorsque des secteurs stratégiques sont visés. Le Canada, les Etats-Unis, la Chine. Il ne faut pas que les Français soient les Bisounours de la mondialisation. Quant à renflouer temporairement Alstom, valorisé à 10 Mds€, ce serait une opération de trésorerie qui n’est pas hors d’atteinte.
A quoi aurait servi une entrée de l’Etat dans le capital d’Alstom ?
LAURENT WAUQUIEZ. A donner du temps ! Du temps pour mettre en place une vraie stratégie industrielle. Là, faute d’avoir travaillé en amont, on bricole dans l’urgence des mauvaises solutions. Si l’on veut en sortir par le haut, il faut faire émerger un géant énergétique européen, et cela suppose d’avoir plus que quelques jours. JULIETTE MÉADEL. Je pense, au contraire, que le gouvernement actuel a été très réactif. Il a été capable en quelques jours de susciter un projet de seconde offre, celle de Siemens, et de provoquer une surenchère en termes de prix et d’engagements en matière d’emplois. Alstom aujourd’hui a le choix, il est donc plus fort face à General Electric et Siemens. JEAN ARTHUIS. A mon avis, une telle intervention ne servirait à rien car ce qui compte c’est la compétitivité des entreprises. Elle seule est susceptible d’attirer des capitaux privés et de rendre inutile la présence de capitaux publics.
Mais si l’Etat était resté au capital d’Alstom en 2006, n’aurait-il pas eu les moyens d’intervenir plus tôt et plus efficacement ?
JULIETTE MÉADEL. Peut-être. Mais l’Etat actionnaire n’a pas toujours brillé par son efficacité. JEAN ARTHUIS. Si l’Etat était resté au capital, il n’aurait pas eu les poches assez profondes pour subvenir aux besoins d’Alstom. L’investissement public aurait été inefficace et pas rentable.
Une politique industrielle volontariste est-elle encore possible ?
JEAN ARTHUIS. Ce qui compte c’est que l’Etat crée les conditions optimales pour que les entreprises fonctionnent bien. La gauche comme la droite en ont été incapables. Peu importe la nationalité des capitaux s’ils trouvent intérêt à s’investir en France et que les centres de décision s’y maintiennent. On parle beaucoup des « Airbus de l’énergie »… Pourquoi pas ? Mais il faut alors que les entreprises qui les composent soient performantes, les Etats peuvent donner une impulsion, les accompagner. LAURENT WAUQUIEZ. Il peut évidemment y avoir un vrai patriotisme industriel ! L’Allemagne le montre. L’Etat ne se substitue pas aux entreprises, il les accompagne à l’international, les aide sur les marchés publics, favorise la création de filières, crée un environnement social et fiscal favorable. C’est un travail sur la durée, dans la discrétion. JULIETTE MÉADEL. La façon dont le gouvernement gère le dossier Alstom est symptomatique d’une mutation de l’interventionnisme public. Politiquement, on est en train d’inventer une troisième gauche. Après le temps des nationalisations, sous Mitterrand, puis celui du socialisme de marché, sous Michel Rocard, on assiste à l’émergence d’un troisième moment, où les méthodes d’intervention de l’Etat sont plurielles. Ce qui ne doit pas changer, c’est l’objectif de l’Etat : tirer notre industrie vers le haut de gamme, gagner des parts de marché dans les secteurs d’excellence et créer de l’emploi.
L’Europe est-elle un handicap ou une solution ?
LAURENT WAUQUIEZ. Ce dossier révèle toutes les défaillances de l’Europe. Obsédée par l’idéologie de la concurrence, Bruxelles empêche le développement de géants européens et refuse une dose de protectionnisme, contrairement aux Etats-Unis ou à la Chine. On trahit l’esprit des pères fondateurs, qui conjuguait préférence communautaire et ambition industrielle.JULIETTE MÉADEL. Il est vrai que l’interprétation, par la Commission européenne et par la Cour de justice des communautés européennes, des règles de la concurrence est très stricte. Il est temps d’assouplir ces règles. JEAN ARTHUIS. L’Europe n’a pas su dépasser l’addition des égoïsmes nationaux et la Commission s’est mise au service des consommateurs et non de l’industrie. L’affaire Alstom montre qu’il est temps pour l’Europe, trop technocratique, de se donner un vrai gouvernement politique.
Propos recueillis par Jannick Alimic