Pierre Rosanvallon lance un site internet avec la grande ambition de constituer un « Parlement des invisibles ». En même temps que le site internet « raconterlavie.fr », une collection d’ouvrages courts, a été lancée début janvier aux éditions du Seuil.
Jean Yanne raillait le peuple qui demande « des sous », Juvénal raillait les mœurs du peuple: il leur faut du pain et des jeux disait-il.
La vie politique est chaque jour décriée alors que nos hommes et nos femmes politiques, s’acharnent à contrer la crise face à des électeurs souvent paumés. Ils prédisent parfois la sortie du tunnel … de la crise économique, parfois sans trop y croire. Pourtant chacun pourrait savoir qu’il s’agit d’une crise structurelle profonde, dans notre rapport avec les pays émergeants que le bout du tunnel ne sera pas, ne se fera pas, ne se verra pas, sans un changement profond des modes de vie et des mentalités.
Il ne suffit pas de présenter une sortie du tunnel, à « des sujets » inquiets. Cette notion filtre depuis des années dans la démarche de Pierre Rosanvallon : La politique ne peut se contenter de distribuer l’argent sans modifier les rapports humains. Pour modifier la structuration de la société réelle, la politique doit … bien sûr … porter en elle une ouverture vers l’égalité des chances, comme « Le temps des cerises » fredonné en cachette, donnait à nos grand-mères un avenir meilleur. Mais cela n’est pas suffisant. La démarche « citoyenne » de Pierre ROSANVALLON a pour objectif de « redonner un socle à la démocratie » et d’éclaircir ce débat dans notre société. La rupture est flagrante entre le monde politique et la société.
Pierre Rosanvallon note que la société française se désagrège, se fragmente dans une sorte de dépression faite de tristesse d’intolérance, de non respect des autres et de leurs différences.
Avec l’affaire « Dieudonné M’balla M’Balla » chacun sent bien que les déchirements sont profonds entre les communautés. Nous assistons à l’expression lourde d’une accumulation des frustrations, sans percevoir le début même d’une solution acceptable pour « le corps social ». La société finit par ériger des boucs émissaires causes de tous les maux. Petit à petit, une dérive démocratique s’installe sur fond de légitimation de l’extrême droite et du Front National dans le paysage politique français.
Mais ne nous focalisons pas trop sur cet évènement médiatique.
J’ai souvenir de la fin du quinquennat de Nicolas Sarkozy. Régulièrement les informations jugées brulantes par la presse provoquaient chaque fois des dispositions législatives et/ou réglementaires, l’objectif inavoué étant de surfer sur la vague de la popularité audiovisuelle. D’un autre côté, combien ai-je rencontré de responsables politiques croyant la fin du monde arrivée dès lors qu’une information négative ou nuisible était reprise dans la presse locale ou nationale. Il s’agit là d’une méconnaissance flagrante du peu d’influence de la presse dans notre société.
Nous voyons en plus dans la « presse people » que c’est souvent par le petitesse, par des traits de vulgarité que les stars et les vedettes participent confusément à la vie commune des gens.
Beaucoup de professions, beaucoup de situations, beaucoup de vies et de souffrances passent inaperçues et ne suscitent aucune attention. C’est alors que de nombreuses situations parfois parfaitement typées ne font l’objet d’aucune question sociale. Alors la vie politique trop souvent ne tient compte, que de ceux qui savent s’organiser ou qui ont un accès facile aux médias.
La méconnaissance de la société laisse la place à un langage politique qui parle d’un monde irréel, fortement imprégné par l’imagination débordante des orateurs et fréquemment par des idéologies galopantes. Ils lancent alors la lente mécanique de leur perte. En effet, une expression fidèle de la société est le plus sûr moyen de gagner une élection.
Cette rupture entre le monde politique et la société s’explique aussi par une plus grande professionnalisation de la vie politique au détriment de l’engagement bénévole. A vouloir faire de toutes les activités humaines un métier, un affairement à temps plein, on dissocie par exemple les enfants footballeurs des clubs professionnels, le théâtre amateurs des compagnies patentées, les élus nationaux et locaux des électeurs discrets. C’est ainsi que naissent les aristocraties : C’est lorsque le citoyen, vêtu en sujet de sa majesté, est devenu invisible.
Alors Pierre ROSANVALLON est catégorique : il faut reconstruire une « représentation-narration « pour que l’idéal démocratique reprenne forme. Il vaudrait même parfois mieux que les personnes concernées parlent d’elles-mêmes.
Prenons donc le risque avec lui, que cela soit moins bien dit, prenons le risque de leur vérité, ne craignons pas leur liberté d’expression. Avec l’essoufflement des idéologies nous entrons dans une autre époque. Goutons l’émergence de cette politique du réel dont nous percevons déjà le filigrane.
Pierre Rosanvallon conforte cette idée simple qui éclaire la vie politique française.
L’invisibilité » des citoyens alimente le désenchantement vis à vis de l’homme ou de la femme qui œuvre en politique. Une société en manque de représentation se perd dans la passivité, parfois dans l’angoisse, toujours dans la peur.
Nous avons des outils pour cela.
Le Général de Gaulle par exemple au lendemain des évènements de Mai 1968, l’avait bien compris. Il relançait l’idée de participation.
Il fallait une grande ambition pour galvaniser les travailleurs, et cette grande idée serait porteuse d’une transformation de la société et des rapports humains. Malheureusement le temps et la conjoncture ne lui ont pas permis de préciser cette avancée.
Donner la parole aux citoyens, les rendre visibles, c’est en effet aider des individus à se mobiliser. Sortir de l’ombre, de l’anonymat nous dit Pierre Rosanvallon, c’est assurément pouvoir inscrire sa vie dans des éléments de récit collectif. Car être représenté, ce n’est pas seulement voter et élire un représentant, c’est voir ses intérêts et problèmes publiquement pris en compte, ses réalités vécues et exposées. »
Nous devons aujourd’hui relancer l’idée forte de La Participation, mais nous pouvons aller plus loin … que la bien modeste répartition de dividendes … que cette autre répartition du revenu national chère à Pierre Mendes France …et encore plus loin que la singulière gestion participative des affaires publiques. L’objectif est de passer d’une démocratie électorale qui s’exprime par intermittences à une démocratie permanente…. parce que le militantisme politique doit proposer pour séduire, mais aussi s’obstiner avant tout à faire évoluer la société.
Pierre DARD
Notes de lecture : « Le Parlement des invisibles » Le Seuil – Pierre ROSANVALLON.