Daniel Bloch, de l’avenir n’attend pas. [1].
Et si nos difficultés en matière d’emploi des jeunes comme des séniors, de compétitivité économique mais aussi de politique des quartiers, avaient une cause essentielle : l’incapacité du système scolaire à prendre convenablement en charge les élèves « en difficultés »? Les évaluations internationales des compétences des enfants de 10 ans (PIRLS), des adolescents de 15 ans (PISA) comme des adultes (PIAAC) dressent le constat pour la France d’un système éducatif ou coexiste un nombre important d’élèves, puis d’adultes aux plus faibles niveaux de compétences et d’une élite insuffisamment fournie.
Un enfant sur quatre est en difficulté à six ans, dès la première année de l’enseignement obligatoire. Ces « mauvais » élèves se retrouvent ensuite concentrés dans des classes ou des établissements scolaires qui sont eux-mêmes, de ce fait, en difficulté. La plupart des élèves ne s’en remettront pas. Ils portent les stigmates de leurs échecs et perdent pied chaque jour davantage. Une large proportion d’entre eux sera « orientée » vers des voies de formation professionnelle où ils retrouveront des élèves qui sont, comme eux, en difficulté scolaire. Cette concentration rend le travail pédagogique des maîtres difficile et souvent inefficace. Beaucoup en sortiront sans diplôme après avoir été « décrochés ». Plus encore, n’ayant pas acquis de façon suffisante la capacité d’apprendre à apprendre, les politiques de formation professionnelle tout au long de la vie s’avèrent vaines ou inefficaces. Il faut sauver ce quart de la génération qui est aujourd’hui en grand danger et, dans le même temps, préparer l’avenir économique d’un grand pays que beaucoup jugent, à tort, sur le déclin.
Les évaluations internationales permettent d’établir que les pays qui ont opté pour des classes de niveau hétérogène, mais où est apportée une attention particulière aux « mauvais élèves », obtiennent de meilleurs résultats que ceux dans lesquels les élèves sont répartis dans des classes homogènes. Les élèves en difficulté scolaire progressent en effet davantage en présence d’élèves de meilleur niveau et – pour autant qu’ils ne soient pas trop nombreux – ils ne restreignent pas la progression des bons élèves. Il a été ainsi démontré que lorsque le maître apporte plus d’attention aux moins bons élèves, le nombre des « mauvais » élèves se réduit et le niveau des meilleurs élèves s’accroit. Toute la classe progresse. Il est donc nécessaire de sortir du postulat selon lequel le maître doit la même attention à tous les élèves de sa classe [2] sous peine de stigmatiser ceux d’entre eux qui seraient en difficulté. C’est l’échec scolaire qui les stigmatise, et pas cette attention particulière qui leur serait apportée.
De la petite enfance jusqu’au cours préparatoire, il est ainsi établi que l’action doit prioritairement porter sur l’acquisition structurée du langage. Dès lors qu’elle prend place, sur la longue durée, des résultats extrêmement probants peuvent être obtenus. C’est bien informé du résultat de ces expériences que le Président Obama annonçait, dans son discours du 28 janvier 2014 sur l’état de l’Union : « Je vais rassembler une coalition d’élus, de chefs d’entreprise et de philanthropes ayant la volonté d’aider davantage d’enfants à accéder aux écoles maternelles de haut niveau dont ils ont besoin ».
La deuxième remarque s’applique à l’école élémentaire et au collège. Le ministère de l’éducation nationale s’applique à convaincre les enseignants que le redoublement est inutile, voire contreproductif. De fait le redoublement est pratiquement inexistant dans les pays qui sont les meilleurs de la classe. Malheureusement si les performances des élèves de 15 ans de notre pays se sont dégradées, c’est essentiellement parce que celles des plus mauvais élèves, qui redoublaient antérieurement et qui ne redoublent plus, se sont effondrées. La suppression du redoublement doit être un objectif atteint par la pédagogie. Ce n’est pas une solution en soi. Là encore, il faut d’abord s’occuper des « mauvais » élèves.
La structure elle-même du Lycée avec son processus efficace de distillation fractionnée où les élèves sont préorientés vers l’enseignement général, technologique ou professionnel, de fait largement en fonction des catégories professionnelles des parents, aboutit, compte tenu de ce que seul le baccalauréat général conduit à des études supérieures longues, à exclure de l’accès à des fonctions de cadre les enfants des familles les moins favorisées. Plus généralement, un système qui place des cloisons étanches entre les très bons élèves et les moins bons, avec par exemple les grandes écoles pour les uns et l’université pour les autres est lui-même loin de présenter le même rendement global que celui qui caractérise les systèmes davantage hétérogènes.
Notre système scolaire, sous l’apparence de la méritocratie, n’est-il pas de fait davanatage aristocrate que démocrate ?
[1] L’avenir n’attend pas est un collectif pour l’innovation sociale. www.lavenirnattendpas.fr
[2] Daniel Bloch. Ecole et démocratie. Pour remettre en route l’ascenseur économique et social. Presses universitaires de Grenoble (2009)