Tour à tour banquier, économiste mais aussi résistant, Claude Alphandéry est une grande figure de l’ESS en raison de ses nombreuses contributions à la consolidation et à la structuration de l’Economie Sociale et Solidaire. Avec l’appui de la caisse des dépôts et consignations, il a créé France Active, association de financement et d’accompagnement des initiatives de l’ESS. Les fonds territoriaux de France Active ont ainsi financé 12 000 entreprises en 2013. Il a aussi été président du CNIAE et a créé l’association portant la monnaie complémentaire SOL. En tant que président du Labo de l’ESS, il a initié les Etats généraux de l’ESS de 2011. Il exprime sa vision :
L’ESS est une économie porteuse d’innovations face au capitalisme et à la financiarisation de l’économie. Le point commun entre ces diverses initiatives se développant dans des domaines d’activités très variés est d’avoir une autre finalité que la seule recherche de profit, celle de répondre à des besoins de proximité non satisfaits par l’économie marchande et l’Etat. Ce sont des entreprises de fait très ancrées sur leur territoire. Elles réparent les effets négatifs de l’économie financiarisée mais pas seulement puisqu’elles proposent de nouveaux modes de productions, d’échanges, de consommations ou encore de façons de décider.
Avec le vote de la loi relative à l’ESS à l’Assemblée Nationale, les débats ont enrichi un texte issu d’une grande concertation avec les acteurs du champ de l’ESS. La loi institue une reconnaissance par les pouvoirs publics de modes d’entreprendre alternatifs qui sont avant tout des initiatives citoyennes.
>> Ce que la loi va changer :
La première grande avancée de la loi ESS est celle de la définition des principales caractéristiques de l’ESS ; Ce qui fixe un cadre de légitimation à la fois pour les autorités publiques mais aussi pour les tiers (acteurs économiques, financeurs) et les acteurs eux-mêmes en leur permettant de dépasser les clivages internes. Une fois ce cadre posé, des dispositions spécifiques relatives aux marchés publics, à la formation et au financement peuvent être appliquées.
Les entreprises de l’ESS poursuivent une autre finalité que le seul profit, ayant une gouvernance démocratique et limitant l’affectation de leurs bénéfices. Ces principes sont volontairement ouverts afin de refléter dans le texte la diversité de cette économie. Cette définition réconcilie le courant historique des acteurs qui se reconnaissent à travers les statuts et ceux qui se reconnaissent dans les principes. Encore une fois, cette ambiguïté est nécessaire et stimule l’imagination et l’innovation économiques en donnant une reconnaissance à des organisations hybrides entre l’action citoyenne et l’initiative économique. L’’ESS décrit une économie en constant mouvement et évolution.
La loi clarifie les relations entre les entreprises de l’ESS et l’Etat. Ces relations déjà existantes et fortes au niveau des collectivités territoriales auront une base légale renforcée.
>> Pour aller plus loin que la loi ESS :
L’ESS est un secteur innovant et il reste encore beaucoup à faire pour sa reconnaissance et son développement.
Au niveau des pouvoirs publics d’une part, l’ESS participe encore trop indirectement aux orientations des politiques publiques et est assez peu présente dans les rapports et politiques économiques générales (le rapport de J. Pisani-Ferry « Quelle France dans 10 ans ? », le pacte de responsabilité et de solidarité). Il y a un retard dans la prise de conscience de la capacité d’innovation et de transformation du modèle économique par l’ESS.
Le risque de fragilisation du secteur associatif n’est pas à négliger non plus. Avec la baisse des financements des collectivités, les associations – créatrices d’emplois jusque 2013 – peinent aujourd’hui à consolider et à maintenir leurs emplois. L’économie classique vend des produits de consommation mais pas du lien social. Cette plus-value de l’ESS explique la nécessaire de l’hybridation de ses ressources : à la fois marchandes, publiques, venant des particuliers et des bénévoles. La reconnaissance de l’Etat a un effet multiplicateur sur le modèle économique des organisations de l’ESS.
L’ESS, d’autre part, aussi doit progresser sur certains points. Elle doit multiplier les projets (formation, pépinières, coopératives d’activités et d’emplois, etc) et se donner les moyens de son changement d’échelle, tout en se tenant à ses principes fondateurs. A cet égard, les règles de gouvernance doivent strictement être observées. Elle doit aussi se tenir à faire participer toutes ses parties prenantes, notamment ses salariés.
Enfin, le décloisonnement est un facteur essentiel de réussite et de changement d’échelle. A ce titre, le développement des Pôles Territoriaux de Coopération Economique consolide une culture du travail en commun avec les PME, les organismes de recherche et de formation, etc. Les PTCE créent une dynamique, une vision commune et amorcent de nouvelles façons de produire. Ce modèle économique doit être en interaction avec l’ensemble de son écosystème. Les circuits-courts sont un autre type d’échanges porteurs de lien social, de participation de toutes les parties-prenantes, de pédagogie et de gouvernance démocratique. L’ESS irrigue le reste de l’économie en insufflant ses principes dans les entreprises classiques.
(Illustration : http://www.economie.gouv.fr/cedef/economie-sociale-et-solidaire)