En introduction, Juliette Méadel, porte-parole du PS et fondatrice de l’Avenir n’attend pas, souligne la nécessité de développer en France une vraie politique de sécurisation des parcours professionnels, pour conférer aux travailleurs des droits leur permettant de faire des transitions professionnelles toujours plus nombreuses des opportunités pour leur carrière plutôt que des moments de difficulté ou de déclassement. Parce qu’elle permet une plus grande mobilité géographique et professionnelle, la sécurisation des parcours permet, notamment par la formation professionnelle, d’améliorer le fonctionnement du marché du travail et la compétitivité des travailleurs français. Elle est donc une arme puissante et socialement bénéfique pour réduire le chômage.
Le compte personnel d’activité (CPA) annoncé par le Président de la République peut être le vecteur de la sécurisation des parcours. Réunissant sur un seul compte le compte personnel de formation, le compte épargne temps, le compte pénibilité, les droits rechargeables au chômage voire la complémentaire santé, son contenu doit être défini par les partenaires sociaux. C’est une occasion de conférer à chaque travailleur des droits réels, compréhensibles par tous et suffisamment flexibles pour s’adapter aux situations individuelles.
Laurent Grandguillaume, député de la Côte d’Or, souligne l’importance de la mobilité professionnelle au XXIe siècle, avec le numérique, l’internationalisation des entreprises : les travailleurs sont amenés à changer de métier, d’entreprise, de secteur ou de territoire. Face à cette réalité sociale, il préconise de nouvelles initiatives, comme sa proposition de loi sur l’activation des dépenses sociales passives pour permettre aux personnes en difficultés de retrouver durablement un emploi, à laquelle il a associé des acteurs de la société civile comme ATD Quart-Monde. Le compte personnel de formation, créé en 2013, est une grande avancée, qui s’ajoute à d’autres dispositifs efficaces comme la valorisation des acquis de l’expérience. Ces dispositifs souffrent pourtant d’un problème de mise en œuvre, notamment dans le dialogue entre employeurs, parfois hostiles, et salariés. La démocratie sociale doit jouer pleinement son rôle pour assurer la réussite de la politique de formation.
Chercheuse à l’Irisso (CNRS-Paris-IX Dauphine), Anousheh Karvar pose les termes du débat sur le CPA, qui regroupe des droits divers mais qui ont en commun d’être rattachés à un individu quel que soit son statut et portables entre plusieurs entreprises. Le CPA sera-t-il un moyen de gérer des droits, et donc potentiellement de les transférer d’un objectif à un autre, ou une simple interface d’information sur ses droits. Sera-t-il alimenté par l’épargne individuelle des travailleurs au fur et à mesure de leur carrière, voire par leur plan d’épargne d’entreprise, ou abondé par un système d’assurance sociale ? Quel risque un tel système couvrirait-il : la perte d’emploi, l’absence de qualification à la sortie du système scolaire ?
Anousheh Karvar identifie deux enjeux fondamentaux : d’une part, l’effectivité des droits doit être assurée, notamment en garantissant leur financement et en les rendant accessibles (ce qui pose la question de l’accès à internet pour un compte en ligne). D’autre part, un équilibre doit être trouvé entre l’autonomie des personnes dans la gestion de leur parcours et la régulation collective, qui doit assurer la bonne allocation des ressources : la formation professionnelle est à la fois un outil d’émancipation individuelle et un investissement social.
Les écueils sont nombreux : le dialogue social est traditionnellement peu fécond sur la formation professionnelle, les employeurs se considérant comme payeurs-décideurs et les syndicats ne prenant pas en compte, au niveau de l’entreprise, les aspirations individuelles des salariés qui voient au-delà. La question de l’offre de services reste aussi posée, celle-ci reposant sur un secteur privé non régulé. La complexité du financement de la formation nuit à l’effectivité des droits. L’accompagnement des moins qualifiés reste également en chantier, alors qu’il est indispensable : les plus défavorisés n’ont ni pouvoir de négociation, ni capacité à formuler un projet professionnel précis.
Enfin, l’économiste Marc Ferracci évoque à son tour quatre questionnements autour du CPA : l’agrégation de droits divers supposerait une unité de compte commune, et poserait d’autres questions telles que la fongibilité et le rythme d’accumulation des droits selon le parcours de l’individu. Il devrait aussi prendre en compte les ruptures de carrière de plus en plus nombreuses, et permettre une diminution de la mobilité subie en favorisant la mobilité volontaire et ascendante. L’accroissement de la demande de formation créé par un dispositif efficace suppose une amélioration de la qualité de l’offre, notamment par la concurrence, et de l’accompagnement des chômeurs. Les droits créés au titre du CPA devraient ainsi non seulement permettre d’accéder à des actions de formation, mais aussi à des actions d’accompagnement en amont qui permettent de définir un projet professionnel. Enfin, le nouveau dispositif devrait permettre de réduire les inégalités socio-économiques en corrigeant les écarts de dotation en droits au profit des moins favorisés, par exemple avec un abondement corrélé au niveau d’études. En filigrane, la question est de savoir si le CPA doit être un bénéfice de l’activité professionnelle ou contribuer à la favoriser en permettant aux individus de trouver un emploi qualifié.
L’expérience du compte personnel de formation est sur ces différents points un peu inquiétante. Malgré sa portabilité et la capacité de décision qu’il donne au salarié, le crédit de formation de 150h ne permet pas d’accéder à des formations qualifiantes et les employeurs sont peu incités à aller au-delà. Deux autres écueils majeurs devront être surmontés par le CPA s’il se substitue au CPF : un établissement moins centralisé et plus adapté aux besoins de la liste des formations éligibles, et un véritable financement sans quoi le droit à la formation restera purement formel.
Les remarques et questions de la salle, qui ont permis à de nombreux acteurs du secteur de la formation professionnelle d’intervenir, ont mis en lumière les difficultés de mise en œuvre du CPF dans sa première année d’entrée en vigueur. Les professionnels du secteur ont souligné la chute de leur volume d’activité et les nombreuses difficultés administratives auxquelles ils sont soumis pour voir leur activité reconnue. Le CPA doit donc permettre une simplification, dans le cadre de la politique engagée par le gouvernement, pour que les travailleurs puissent faire effectivement et immédiatement valoir leurs droits. Enfin, les interventions soulignent le rôle des initiatives venues du terrain et de la société civile, mieux adaptées aux attentes et aux besoins, qui doivent être encouragées par les pouvoirs publics, et notamment les collectivités territoriales.