Les vieilles lunes sont de retour et c’est dans les vieux pots rancis qu’on fait les mauvaises politiques. Qu’est-ce que cette nouvelle matière proposée par le ministère de l’éducation « la morale laïque » ? On s’interrogera d’abord du point de vue de la construction des savoirs. Jusque là, tous les enseignements dispensés depuis l’école maternelle jusqu’à l’université sont portés par des méthodes, des doctrines, des épreuves ; qu’il s’agisse des mathématiques ou des langues, de l’éducation physique ou de la géographie. Quelle doctrine va supporter cette morale laïque ? Par quelle méthode sera-t-elle enseignée ? Quelles épreuves pourra-t-on faire subir à ses enseignements et comment en vérifiera-t-on l’acquisition ? S’il s’agit de renforcer l’enseignement des principes de la République (au premier rang desquelles la laïcité et l’égalité des genres évoqués par V. Peillon), pourquoi ne pas donner plus d’importance à l’éducation civique, ou introduire plus tôt des heures de philosophie ? Les enseignements de la langue française (comme des autres langues) et de l’histoire ou de la géographie sont aussi là pour apprendre à réfléchir à ces questions, et, ce qui est au moins aussi important, à formuler les fruits de cette réflexion et à les éprouver au contact de la pensée d’autrui. Bien sûr, l’apprentissage vise à accroître les compétences en même temps que les savoirs. Mais les premières sont assises sur les pratiques, les doctrines et les épreuves des secondes. Les compétences attendues de la morale laïque risquent fort de montrer ce qu’elle recouvre : des normes que chacun pourra définir en fonction de ses propres priorités, de sa culture, de ses façons de vivre.
Quand émerge une telle « idée », quand une telle insistance est portée, elle annonce un vent mauvais de division. Est-ce vraiment la première priorité d’une école déchirée par les inégalités ? Peut-on soutenir que la violence que connaissent certains établissements est principalement due à l’ignorance des principes de la laïcité ? L’école porte les problèmes de la société ; elle porte aussi les siens propres et en particulier l’immense difficulté qu’il y a à construire un projet commun pour des élèves dont la diversité est forte et auxquels elle ne sait plus, ne peut plus en l’état, s’adapter. Attaquons-nous à la fausse égalité des établissements, soutenons les plus faibles, aidons les expérimentateurs, ceux qui innovent localement dans leurs classes et dans leurs établissements ; nous trouverons ainsi un nouveau pacte pour l’école qui permettra à chacun d’y trouver sa place, au lieu de commencer par une politique d’exclusion et de stigmatisation.