Dans quel pays le candidat du deuxième parti politique à la vice-présidence peut-il déclarer, sans que cela ne remette en question sa place, que le viol est une « méthode de conception » ?
Dans quel pays un candidat au Sénat peut-il encore tenter de faire la distinction entre « vrais » et « faux » viols et affirmer qu’une femme victime d’un « véritable viol » ne peut pas tomber enceinte sans que cette déclaration ne provoque autre chose qu’une rapide polémique ?
Tout de même pas dans un pays dont la responsable de la diplomatie est une femme ? Tout de même pas dans un pays qui se poserait comme l’ultime rempart de la démocratie et des libertés dans le monde entier depuis la Seconde guerre mondiale, n’hésitant parfois pas à intervenir militairement en dehors de ses frontières au nom de ces valeurs ? Tout de même pas dans un pays qui entendrait se poser comme un observateur vigilant du respect des droits des femmes dans les pays de la révolution arabe ?
En réalité, si. Nous parlons bien de Paul Ryan, colistier du républicain Mitt Romney dans la course à la Maison Blanche, et de Todd Akin, élu républicain candidat au Sénat dans l’Etat du Missouri¸ et donc des Etats-Unis.
Et le sujet en est d’autant plus grave car nous ne parlons par conséquent pas ici de progrès à faire mais de régressions à contenir. Car loin de la consolidation croissante de l’égalité hommes-femmes que l’on pourrait légitimement attendre de la première puissance mondiale – et ce « on » inclut en tout premier lieu les Américains, des deux sexes –, ces dernières déclarations soulignent au contraire que la perspective actuelle est plutôt celle de la permanence et de la persistance d’attaques, certes isolées mais répétées, élections après élections, à l’intégrité des femmes, au nom d’un combat anti-avortement, puritain et dépassé¸ support de tous les amalgames et des agressions verbales les plus déplacées et les plus violentes, touchant directement à cette intégrité.
De façon répétée, élections après élections, ce combat anti-avortement rétrograde sert de justifications dans la bouche d’élus républicains non seulement pour attaquer dans leur intégrité des milliers de femmes qui ont fait le choix légitime et légal d’être maîtresses de leur propre corps mais également pour nier aux victimes de viol leur statut de victimes.
L’Amérique puritaine ne respecte pas les femmes au contraire de ce que sa conception extrême du harcèlement sexuel voudrait nous faire croire. Respecter une femme, ce n’est pas s’essayer à des distinguos pseudo-scientifiques entre viol véritable et semi-véritable, mais par exemple s’engager dans la lutte contre toutes les formes de violence sexuelle, et le combat reste long à mener (rappelons juste qu’un rapport de Human Rights Watch pointait en mai dernier le fait que des centaines de milliers d’ouvrières agricoles immigrées étaient confrontées aux Etats-Unis à un risque élevé de violence sexuelle du fait notamment de l’inadaptation des textes législatifs). Respecter une femme, ce n’est pas s’interdire de prendre seul l’ascenseur avec elle mais s’interdire de porter des jugements sur ses choix de femme en tentant de l’enfermer dans le seul rôle de reproductrice du couple. Respecter l’égalité hommes-femmes, ce n’est enfin pas désigner Hillary Clinton comme modèle pour ses filles tout en niant le droit de disposer de leur corps à ses concitoyennes.
Ce qu’il y a de terrible dans les dernières déclarations de ces élus républicains, c’est qu’elles conduisent à prendre une nouvelle fois conscience que le combat pour les droits les plus fondamentaux, pour les droits les plus basiques des femmes est aux Etats-Unis loin d’être gagné. Et qu’elles rendent par conséquent bien lointaine la perspective de combats victorieux pour l’égalité salariale ou la représentation politique. Et qu’elles obligent une nouvelle fois à répéter que l’avortement est un droit. Et qu’elles obligent une nouvelle fois à marteler – en septembre 2012 – que le viol n’est pas une relation sexuelle comme les autres. Mais que voulez-vous ? Yes, they can… be that stupid.